Sommaire des étapes

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Carte de l'itinéraire

    1

    En route pour l'Italie

    LA ROUTE DU FEU : VESUVE - ETNA

    Bernard Heneman, Michel Maletto, Gaston Pineau, Gérard Gigand

    Départ depuis Paris via le train jusqu'à Dijon pour rejoindre Bernard puis la voiture sauf pour Gérard qui prend l'avion directement de Paris vers Naples. Rendez-vous à Salernes le 12 mai.

    Quelques photos du passage en France et de l'étape en voiture de Rapallo.

    Gaston écrit :

    Le projet de cette route du feu ; Vésuve-Etna est né en février 2008 à Salernes, entre Gaston Pineau, professeur à l’Université de Tours, et Paolo Longo, directeur-fondateur de l’Association Salernoise de cyclotourisme écoculturel. Cette rencontre s’effectua lors du voyage à vélo Tours-Galilée, entrepris par Gaston pour ponctuer son passage à la retraite. Le blog Mare Nostrum « gastonpineau.blogspot.com » en rend compte, ainsi que l’ouvrage Pineau Gaston, 2012, Rendez-vous en Galilée, Paris, L’Harmattan.

    Cette Route du feu : Vésuve-Etna s’inscrit pour Paolo, dans la dynamique de création de circuits régionaux et nationaux de cyclo-tourisme éco-culturel. Gaston rêve de voir ces circuits construire peu à peu une union méditerranéenne de « vélosophie » éco-culturelle. Pour le moment, cette route initie pour lui une recherche sur le feu comme élément majeur d’éducation à et par l’environnement, d’une écoformation à partir des quatre éléments traditionnels. Trois ont déjà été travaillé : De l’air !Initiation à l’écoformation(G.Pineau coord. 1992) ; Les eaux écoformatrices (Barbier, Pineau,coord.2001) ; Habiter la terre. Ecoformation terrestre pour une conscience planétaire (Pineau, Bachelart, Cottereau , Moneyron 2005). Cette Route du feu , du Vésuve à l’Etna, ouvre donc le travail du quatrième élément qui couvait depuis longtemps. Pourquoi commencer avec des volcans, et avec ces deux derniers, parmi les 1500 volcans terrestres existant actuellement,?

    - Le volcanisme est né en même temps que la Terre, lors de sa formation il y a 4,6 milliards d'années. Le rôle de la formation des premières molécules organiques et de l’apparition de la vie sur Terre peut être imputé aux volcans. En effet, les sources chaudes sous-marines et autres geysers offrent des conditions propices à l'apparition de la vie. Volcans, vie de la terre !

    - L’importance physique et symbolique du volcan comme feu source de vie, est donc grande: « Le volcan conjugue toutes les forces élémentaires, celle du feu, mais aussi celles de la terre, de l’air et de l’eau : il condense tous les devenirs… le feu du volcan s’avère alternativement( ou simultanément) formateur et destructeur de formes, de matières et de mondes » (Fabre M. 2003, Le problème et l’épreuve. Formation et modernité chez Jules Vernes, Paris, L’Harmattan)

    - L’importance du Vésuve et de l’Etna. Le Vésuve est le plus haut volcan d’Europe continentale (1277m. Les autres sont sur des îles.). C’est un grand dôme dans le ciel de Naples. Il est de type explosif, c’est-à-dire il semble dormir, avec de petites fumerolles. Mais en fait les volcans de ce type sont les plus dangereux, de par leurs explosions difficilement prévisibles. Il est entré dans l’histoire des hommes le 24 août 79 en ensevelissant Pompéi sous une pluie de cendre et de boue. Sa dernière éruption contemporaine date de 1944.

    Outre qu’il est un des principaux volcans actifs d’Europe, c’est dans l’Etna que ce serait jeté le philosophe pré-socratique, Empédocle, présenté comme le premier théoricien d’une cosmogonie avec les quatre éléments. Dans « La psychanalyse du feu »(1ère éd. 1938) , Gaston Bachelard présente le complexe d’Empédocle comme « le complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et de mourir »(P35). Et son livre posthume « Fragments d’une Poétique du Feu »(1988) se termine par Empédocle. Commencer par où il a lui-même commencé et terminé, nous semble un départ prometteur.

    - Cette route passe par un petit village peu connu « Vatolla », où Giambattista Vico (1668-1740), souvent référé maintenant comme auteur-source de l’ingénium de la pensée complexe et d’une ingénierie stratégique de la formation, a conçu sa Scienza Nuova qui, pour comprendre et créer , cherche plus à conjoindre qu’à disjoindre.

    - Enfin ce projet franco-italien est vu comme rampe de lancement d’un projet plus ample, euro-méditerranéen, de conception et de construction d’une union méditerranéenne de « vélosophie » éco-culturelle. L’acuité brûlante des problèmes politiques et écologiques du bassin méditerranéen appelle de toute urgence des initiatives originales de traitement. En développant des circuits nouveaux de tourisme social et propre écologiquement, ce projet d’une union méditerranéenne de cyclotourisme éco-culturel semble une voie possible et mobilisatrice, par sa visée ample et sa construction progressive par étapes.

    11 mai

    Gaston, Michel et Bernard sont en route pour l'Italie. Ils s'arrêtent devant le Mont Blanc pour prendre notre première photo. Nous quittons la route blanche pour entreprendre la route du feu. Une première grande surprise : nous nous arrêtons à Rapallo. C'est ici que Gaston s'était arrêté lors de son voyage de Tours en Galilée. Là, Gaston nous lit le même texte qu'il avait écrit sur Rapallo cinq ans auparavant.

    12 mai

    Le lendemain matin, en direction de Cinqueterre, nous traversons une série de tunnels historique qui ne laissent passer qu'une voiture à la fois. Il y a cinq ans, ne connaissant pas cette limite, il s'y engageant en vélo et ralenti pratiquement la circulation de toute la péninsule.

    La voiturée prend Gérard qui les attend à la gare de Salernes.

    2

    Regoupement à Salernes

    Samedi 12 : Arrivée à Salernes dans l'hôtel Olympico réservé par Michel Maletto depuis le Québec. Bon repas inaugural quadripartite à Salernes autour d'une "salernitana" copieusement épicée ! Un quart d'heure après l'arrivée, Paolo Longo, président de l'association salernoise de Cyclotourisme arrive avec les vélos magnifiques et tout neufs. S'ensuit une séance de mise au point des cyclistes aux vélos et des vélos aux cyclistes ainsi que des trois journées futures.

    Dimanche 13 : Salernes : premier usage des vélos et des cyclistes. C'est la journée de campagne nationale pour l'Associazione. Première scission dès la première sortie de l'équipe. Michel nous guide. Bernard nous protège, Gaston possède le recul et Gérard est obéissant. Puis Gaston et Bernard retournent à l'hôtel déjà distant pour chercher un vêtement de pluie!

    L'après-midi, Michel et Bernard vont explorer la côte Amalfitaine en voiture (50km). Pendant ce temps, Gaston et Gérard vont à Cetera où ils prennent un bain dans la mer.

    3

    haut du Vésuve

    Départ du haut du Vésuve, direction Salernes (80 km).

    "Mise à feu et contingences"

    Gaston, à juste titre, souhaite que la route du feu parte du sommet du Vésuve. Le peuple approuvait. Ce qui fut dit fut fait. Mais pas sans péripétie !

    Météo d'abord. Vésuve invisible, puis intermittent, parfois torrentiel. Mais l'optimisme de Gaston balaya tout cela d'un revers de main.

    Restait la logistique. Après un plan "A", un plan "B", etc., finalement entre voie terrestre et voie ferrée, ce furent deux voitures, cinq hommes (dont Paolo) et trois bicycles qui montèrent sur le Vésuve non sans hésitation quant au bon trajet.

    Paolo qui organise des circuits de vélo s'ntéresse à relier cette "route du feu" qu'il a contribué à concevoir au réseau italien des "routes du soleil".

    Découverte (à pied), du cratère. Nuages, fumeroles, laves en tout genre. Étonnant de sens et d'histoire. Très impressionnante cuvette d'où partit jadis la descente gazeuse meurtrière qui dévasta Herculanum et la fameuse Pompéi, ville que nous avons traversée.

    Petit détail politique : un groupe de personnes revendiquant le "simple" paiement de leur salaire, accrochées aux flancs abruptes à l'intérieur du cratère afin d'attirer l'attention sur leur cause : débauche de pompiers, de journalistes et de supporters.

    Le chauffeur-cycliste (Bernard) étant malheureusement lié à son véhicule, ce ne furent que trois vélocipédistes qui descendirent les 1300 m plus vite que le vent, jusque au bord de l'eau napolitaine... ou presque.

    Les estomacs étaient au plus creux, drainés par les fameux pavés de Naples, devenus "pavés-Pineau", après les "tunnels-Pineau". (Pré-histoire interne au groupe !).

    Et moi (Bernard), j'attends mes trois héros sur mon balcon, face à la mer, la côte amalfitaine et les nuages qui jouent avec le soleil.

    PS. (Si ce n'est déjà fait). A la vélosophie, Bernard préfère la cyclosophie. Suit un petit cours qui n'a rien à voir avec la pataphysique (pour les jeunes et les sans culture, voir Pierre Dac et Francis Blanche).

    Le chapitre sur la physique sera une étude des forces qui feront comprendre à chacun comment un mouvement linéaire, la marche, peut se voir comme un mouvement alternatif lorsque les pieds sont prisonniers dans des cale-pieds. S'ensuit un mouvement cyclique, transformé à nouveau en linéaire, puis cyclique à nouveau, pour finir en linéaire associé à l'usure des pneus. Tout cela pour une productivité que nous estimons multipliée par trois. (A valider auprès d'Ivan Illitch).

    A développer à l'avenir : tous les ratios entre fréquences de pédalage, pédaliers en vrac, pignons alignés, circonférences de roues et vitesses, quels que soient le vent et la pente.

    Autres pistes à explorer dans la cyclosophie : suggérons le vide de l'esprit, l'illumination, la physiologie des cyclosophistes, en particulier celle des géronto-cyclosophistes, etc. A compléter.

    Bernard.

    Gaston, Michel et Gérard font une vertigineuse descente du Vésuve, sur 20 km avec croisements périlleux d'autocars (touchant légèrement Gaston et l'obligeant à s'arrêter) et autres motos.

    Puis s'ensuivent 60km jusqu'à Salernes à travers un tissus urbain continu de circulation compacte, vent froid debout et ingestion de bananes à répétition pour tenir le coup.

    En tout, 80km soit une excellente mise en jambe pour l'étape du lendemain.

    4

    Vatolla

    Vatolla, village et musée de G.B.Vico.

    Logement dans une auberge à Mercato Cilento

    Etape de 63 km avec une grimpée prolongée

    De la connivence entre Maletto et Vico

    En quittant Salernes, on traverse le fleuve Sele qui constituait la frontière antique entre les Grecs et les Etrusques.

    Puis nous arrivons à Paestum sur un site archéologique où les temples grecs sont considérés comme les mieux conservés de tous les vestiges de l’ancien empire grec.

    Nous étions à nouveau accompagnés par Paolo qui nous a appris que c’est dans cette région qu’on trouve la fameuse « Mozzarella di buffala », un fromage de lait de buffle. Paolo nous apprend aussi que ces buffles sont originaires de l’Inde et sont arrivés dans la région au 19ème siècle. Le territoire étant très marécageux, l’environnement était propice à l’adaptation de ce type d’animal nécessitant un milieu aquatique à l’instar des hippopotames.

    Paolo évoque aussi le fait que la faculté de médecine de Salernes est la plus ancienne de toute l’Europe dans sa discipline. Elle a précisément été fondée par Hippocrate, d’où le « serment » que prêtent tous les médecins.

    Le trajet d’aujourd’hui a couvert 63 km dont une trentaine en altitude, nous faisant passer du niveau de la mer à 600 m. Bernard est allé porté nos bagages à notre hôtel à Vatolla puis il est venu nous rejoindre aux temples grecs en vélo pour accomplir avec nous le tronçon d’une longue côte pendant trois heures et demi.

    Toutefois, Gérard s’échappe du peloton, autrement dit fait une énorme fugue, mû par l’esprit du Vésuve. Bien sûr étant plus jeune, il est le seul qui pouvait se le permettre. Nous voilà tous inquiets pour finalement apprendre qu’il était arrivé à l’hôtel une heure avant nous et s’était permis d’aller en éclaireur à Vatolla. Son retour fut vécu comme celui de l’enfant prodigue.

    (Michel Maletto)

    Gaston, pour avoir étudié depuis longtemps son œuvre, tient Jean-Baptiste Vico en grande estime. Il a donc fortement suggéré - et nous avons bien volontiers accepté - de visiter son musée.

    JB Vico a vécu au 17ème siècle. Il est l'initiateur de la « scienza nuova » (science nouvelle), travaillant particulièrement la notion « d’ingénium » et se plaçant en critique de René Descartes.

    Il se trouve que Gaston a écrit la préface d’un livre dont Michel est l’auteur (son troisième) et dans lequel il souligne la grande proximité entre les thèses de Vico et les synthèses concernant la « gestion de soi » opérées par Michel. Michel est donc considéré par Gaston comme un Vico moderne et d’ailleurs ressemblant grandement au maître ! (voir la photo).

    5

    Ascea Marina

    Fin de cette étape de 50 km en montagne depuis Vatolla

    Traversée du parc national du Cilento : une terre aux couleurs du soleil.

    De la vieille auberge rustique Pascual O Milord tenue depuis trois générations de O Milord à Mercato Cilento, à Ascear Marina sur la côte, le quatuor traverse le parc national du Cilento par une route de crête découvrant des paysages grandioses de montagne et de vallées couvertes de forêt. Le guide touristique présente le Cilento comme une haute terre préservée de Campani aux couleurs du soleil, à la flore et à la faune protégées. Sa qualité de vie et d’alimentation en fait une région de longévité exceptionnelle.

    Les cyclistes touches les dividendes des efforts investis la veille pendant trois heures et demi de montée. Descente en douceur avec de petites montées pour se réchauffer et traversées de villages aux noms évocateurs aux architectures pittoresques et typiques, comme Stella Cilento (étoile Cilento). L’angélus sonne pour saluer notre arrivée à Ascea Marina où nous attend en pleine campagne la « resort Santa Maria ».

    L’étape aura été courte (40 km), nous offrant une après-midi de repos, de lessive, d’écriture avec des passages pluvieux parfaitement synchronisés avec nos déplacements.

    Un grave problème travaille cependant le petit groupe : Gérard, enivré par son escapade de la veille qui lui a fait gagner le prix de la montagne est quand même inquiété par les connivences de Maletto avec Vico et de Heneman avec Hipocrate. Aussi ce matin il a tenu à s’afficher avec un T-shirt nous plongeant dans de profondes réflexions : « comment être modeste quand on est le meilleur ? » (Voir photo). La route a été trop courte pour sortir des abîmes de réflexion ainsi provoqués.

    On espère que les 70km de demain permettront un éclaircissement définitif.

    L'atmosphère de nos échanges a été fortement stimulée par l'intimité de notre lieu puisque pour la première fois, nous disposition de deux appartements. Le dîner "à la maison" dégusté "chez nous" a suscité un long échange concernant la formation progressive de notre équipe en tant que telle. L'ensemble a commencé par un exposé professionnel de Michel sur ses observations concernant sa synthèse des éléments constitutifs d'une "équipe performante" à laquelle il nous identifiait. Après cette mise en vis-à-vis détaillée, la conversation s'engage dans une analyse réflexive fouillée autant que fraternelle, du processus par lequel nous devenons peu à peu une équipe à partir d'une situation encore très récente où Gaston était seul à nous connaître tous.

    Les cinq éléments de Michel sont les suivants :

    - un projet commun

    - une clarté des rôles.

    - une complémentarité des compétences

    - un mode d'organisation commun

    - un engagement mutuel (à répondre aux attentes des uns et des autres).

    L'humour fut reconnu comme une qualité maîtresse dans la naissance d'une équipe à partir d'une complète hétérogénéité.

    La notion d'égalité entre les personnes fut établie comme capitale.

    L'accès à sa propre intelligence.

    La nature du rôle de Gaston en tant que force de proposition et les conséquences sur la capacité du groupe à devenir une équipe.

    Les significations de l'âge moyen de l'équipe (63 à 73 ans)dans la manière dont chacun se pense au cœur de cette initiative et dans les transitions dont chacun est l'acteur à lui-même : plaisir, curiosité, partage.

    La notion de responsabilité vis-à-vis des autres à partir de sa propre émancipation.

    6

    Sapri

    Etape de 95km

    La ville de Parménide et Zenon.

    Fin de cette étape Ascea Marina - Sapri de 70km

    Etape toute simple : pureté de la nature, courtoisie chaleureuse des personnes tout au long du parcours ce jour-ci comme depuis le début du périple.

    Bernard était sans doute inspiré par l'esprit des lieux qui ont vu la naissance d'une école présocratique des éléates : Parménide, fondateur de l'ontologie, Zénon d'Elée, fondateur de la dialectique et empédocle, premier concepteur d'une cosmogonie avec les quatre éléments (air, terre, eau, feu tendus entre l'amour et la haine), et qui se jeta dans l'Etna !

    Bernard songeait à ceci :

    La sagesse est de l'ordre du temps présent.

    Le désespoir et l'espoir relèvent d'une forme de vision du futur.

    C'est la toile du fond du débat sur le Dieu des hommes.

    Le passé est plus complexe et confère au présent une sorte de nostalgie.

    Les pensées de Bernard ne nous ont pas empêché de nous chamailler sur le choix de la route : pentes progressives ou ascensions abruptes, le tout dans un vent froid. Finalement, la gent septuagénaire majoritaire eut raison de la fougue du sexagénaire !

    Nous sommes installés ici dans un magnifique quatre étoiles (splendide "design" italien compris) étonnamment bon marché et à l'accueil engageant.

    7

    Diamante

    Entrée en Calabre et "cri de ralliement du quadricycle". (DVD de l'enregistrement bientôt disponible).

    Etape de 70 km.

    Journée au temps magnifique toujours en bord de mer, alternant côtes et descentes ponctuées de tunnels le long du golf de Policastro considéré comme un des plus beaux golfes d'Europe.

    A l'entrée d'un de ces tunnels, Gaston à la traîne du peloton ose à peine pénétrer car vivement inquiété par des bruits préhistoriques.

    Cependant, ces cris lui rappelaient certains hurlements déjà émis par Michel pour exprimer les nuances de ses délicats sentiments intérieurs puissamment amplifiés dans le tunnel par Gérard le jour précédent.

    L'angoisse de Gaston a augmenté quand il a vu des ombres gesticulant dans la lumière à la sortie du tunnel émettant ces puissants décibels. Débouchant en pleine lumière il reconnut ses compagnons et compris alors que c'était le "cri de ralliement du quadricycle".

    Nous sommes alors entrés en Calabre à la Praia a Mare.

    Cette localité est notre point de rendez-vous avec Bernard qui, comme d'habitude, a fait le voyage en voiture jusqu'à Diamante, notre point d'arrivée puis revenu nous retrouver en vélo.

    Quant à Michel, il nous confesse que c'est sa première journée de bipède cyclique, c'est-à-dire que les jours précédents, pour protéger un tendon plaintif, il pédalait en "unijambiste alternatif" à l'insu de nous tous qui trouvions son style un peu curieux. Cette deuxième jambe récupérée va probablement faire de lui le leader du peloton !

    Déjeuner au bord de la Méditerranée où Gaston et Gérard sautent dans leurs maillots de bain respectifs pour plonger dans une eau ma foi assez froide mais magnifiquement turquoise.

    Nous voici reparti à quatre dûment prévenus par Bernard, des redoutables pentes à venir. En fait, il s'agissait seulement d'un haussement d'épaule du littoral.

    Bernard nous conduit vers notre hôtel, charmant et vacant de tout client avant notre arrivée.

    8

    Amantea

    Etape de 80 km

    Journée ponctuée de trois imprévus !

    Commençons par une question qui taraude "l’équipe performante" :

    Que reste-t-il du feu entre les deux volcans car on ne voit plus que de l'eau ?

    Mais c’est le soleil bien sûr !

    L’omniprésence du soleil tendrait à nous le faire oublier s’il ne se rappelait pas à nous par les brûlures qu’il essaye de nous infliger.

    Depuis deux jours, plus de nuage, un soleil agressif de tous ses rayons.

    Premier imprévu :

    Un événement qui aurait pu tourner au tragique : la traversée des tunnels :

    Nombreux et parcourus par d’énormes attelages de poids lourds roulant à plus de 100 à l’heure.

    Nous entrons dans un de ces tunnels et soudain, au moment où nous allions pousser le cri dorénavant connu de tous, nous ne voyons plus rien à cause de la luminosité soudain perdue et les vélos commencent à tanguer. En particulier celui de Michel qui finit par se lancer su la paroi pour ne pas être pris en toupie par un énorme camion qui le double. Résultat, le vélo du robuste septuagénaire est stoppé sans dommage et Michel trouve là sa survie mais non sans y laisser non pas sa peau mais une petite partie de celle-ci comme la photo en témoigne malgré la protection d'un vêtement.

    L’équipe étant « performante », elle en tire la leçon et se rappelle l’importance du feu arrière sur les vélos. Pour tous les prochains tunnels nous voici dûment équipés d’un « feu au cul », de plus nous nous regrouperons à l'entrée et pédalerons le plus vite possible à un moment de moindre circulation.

    Le feu (rouge) a donc été nouvellement identifié à cet endroit stratégique.

    Deuxième imprévu :

    Bernard ressentait le besoin de faire une pause et une petite gastro l’y a aidé !

    La journée s’est donc déroulée à trois cyclistes d’une part et un chauffeur convalescent d’autre part.

    Ce n’est qu’une apparence de malchance car Bernard eut toutes les peines du monde à trouver le lieu pour la nuit qui de plus était fermé pendant la journée. Donc aucun temps disponible de toute façon pour nous rejoindre. Bernard nous accueillit tous, bien exercés par la journée avec "l’excellente" nouvelle que le lieu du séjour était perché à 240 m d’altitude sur une route dépassant les 15% de pente. Mais l’équipe performante su se montrer à la hauteur du défi !

    Les indications précises de Bernard notamment sur le nombre de feux de circulation nous a permis de nous retrouver à un point de rendez-vous. Voilà encore une autre forme de feux rythmant notre route.

    Sans le souffrant Bernard qui nous a guidé jusqu’au bout, le trio aurait dû trouver un autre endroit pour la nuit.

    Troisième imprévu :

    L’apparition d’un troisième volcan au milieu de la mer : le Stromboli qui vient "trianguler" notre pauvre dichotomie « Vésuve Etna ». Et ceci à mi-parcours de notre périple. On l'avait oublié celui-là pourtant de redoutable mémoire.

    Notre lieu de repos est un nid d'aigle et se révèle finalement un site magnifique dans le goût de l’aménagement des bâtiments, du grand jardin en étages et surtout la vue vertigineuse sur Amantea en contrebas.

    Et puis toujours cet accueil joyeux, naturel où la frontière entre l'accueil clientèle et l'amitié est élégamment voilée.

    Ajoutons la prise habituelle d'une bonne pizza du soir à Amantea tout en bas mais celle-là ne mesurait pas moins de 70 cm de diamètre !

    9

    Tropea

    Dimanche 20 : Etape de 80 km.

    La journée d'hier s'est terminée par un feu d'artifice en contrebas et celle d'aujourd'hui a commencé par la fumée des feux allumés par les habitants de la région selon le principe du brûlis.

    Alors les trois éléments constitutifs du feu nous sont apparus comme la flamme, le foyer et la fumée.

    Aujourd'hui, le vent si favorable ces derniers jours s'est orienté en opposition frontale à l'équipe performante! Celle-ci à tout de suite réagi en se regroupant, instruite avec pertinence par Gaston sur les principes du déplacement en peloton.

    Gérard à commencé par mal s'y prendre en allant trop lentement tant il voulait ne fatiguer personne. Puis Gaston à doublé énergiquement pour cause de sous-régime. A l'arrêt suivant, Gaston met les choses au point. Puis Gérard réessaye à la satisfaction de Gaston et de Michel. Nouvel apprentissage donc pour faire face aux vents contraires.

    Cette affaire fut instructive pour le rapport entre l'individu et le Collectif.

    Nous sommes désormais très au sud et la chaleur est présente même sous le soleil voilé. La Calabre s'étend devant nous de tout son charme et aussi sa plus grande âpreté mais toujours avec le plus chaleureux des accueils.

    Puis à nouveau un imprévu ou plutôt une aggravation d'un fait déjà observé les jours précédents : le voilage du la roue arrière de Gaston allant en empirant. Gaston semblait peu s'en soucier malgré l'insistance de ces coéquipiers mais là le constat était clair : deux rayons cassés nets, la roue se mettant en huit et frottant régulièrement sur le frein au point de rendre le pédalage très difficile.

    Nous appliquons alors les principes de l'équipe de haute performance : constat, diagnostic, élimination des rayons cassés. Gaston reprend son vélo aux freins quasiment serrés pour parcourir plusieurs kilomètres pour s'arrêter à bout de force !

    Puis la montée vers le village du rendez-vous du déjeuner avec Bernard commence avec Gérard sur le vélo coincé de Gaston et Gaston sur le vélo Gérard. La selle de celui-ci est trop basse et Gaston est comme sur un tricycle et Gérard ne pouvant grimper sur la selle se pencher en avant avec le bout de la selle de Gaston lui rentrant régulièrement dans le coccyx. La question est comment monter une pente abrupte avec les feins serrés !

    Enfin nous arrivons au village et là le sauveur nous rejoint : Bernard arrive avec les outils appropriés pour agir sur les rayons restant et diminuer fortement le voile, permettant à Gaston de boucler l'ensemble de l'étape.

    Bref, comme dit Bernard, ce fut une étape rayonnante !

    Effectivement, Bernard nous a rejoints comme à d'autres étapes en portant vélo et bagages au lieu d'arrivée dont la localisation n'est jamais évidente.

    C'est toujours un plaisir et une grande économie d'énergie de se laisser conduire par notre patient éclaireur jusqu'au lieu de notre repos !

    Le village perché est pittoresque et accueillant comme d'habitude et tout le monde cherche à nous aider.

    Nous n'avons pu résister à l'envie de photographier la personnalité du lieu qui porte le nom du village : Pizzo. Soit le sculpteur a exagéré les moustaches soit le personnage témoigne d'un remarquable système pileux. Sans nul doute ce n'est pas là sa seule qualité. Chacun constatera sous plusieurs angles !

    Chaque jour, Michel, (ses trois compagnons signent ce petit paragraphe), notre grand interprète de l'Italie par sa connaissance de la langue mais aussi des cœurs et par son humour, nous fait adopter par nos connaissances italiennes du jour, nous introduit d'heure en heure au génie propre des lieux et des cultures locales. Sans lui, nous serions des étrangers. Avec lui nous sommes des invités.

    Le lieu pour la nuit est comme une fois déjà, deux appartements dans lequel nous nous faisons notre propre cuisine. Internet y est disponible partout : très pratique !

    10

    Gioia

    Etape de 70 km.

    Une étape éprouvante !

    Contact étroit avec Paolo pour trouver un réparateur à Tropea. Il réussit à nous trouver un réparateur dans cette ville. Nous nous y rendons et l'opération commence. Vers 11h, le vélo est sur la table d'opération. Le chirurgien enfile ses gants blancs et commence son intervention sans anesthésie à commencer par la dépose du boyau.

    Pendant l'opération, les visages sont graves comme en témoignent les portraits.

    A midi, nous sommes prêts à partir pour une très rude montée en plein soleil. Pour une fois, Gaston pour grimper avec les freins desserrés. La tempête, essentiellement de vent de la nuit nous laisse beaucoup de poussière mais aussi un ciel chaud et dégagé.

    La côte fut longue avec un point d'honneur à ne pas poser le pied à terre.

    Michel en profite pour perdre sa montre que nous avons pu retrouver Dieu merci grâce à un rayon de soleil frappant l'oeil de Gérard concentré sur sa recherche.

    Pendant la montée, nous nous interrogeons naturellement sur le dieu du feu Zeus et à la conquête éprouvante du feu par Prométhée.

    Magnifique vue tout en haut et repos bien mérité des coureurs dans différentes positions conformément au style de chacun !

    Mais tant pour le chemin de la montée que pour tout le reste de la journée, l'épreuve a été permanente pour trouer notre chemin dans l'absence de repère, l'obligation incessante de demander notre route, la présence d'un immense périmètre portuaire interdit, nous supprimant le référence évidente de la mer, un pont effondré nous obligeant à changer d'itinéraire, des ramifications routières dignes d'un labyrinthe et une énergie pédalante non sans limite après ce démarrage tardif.

    Cet imbroglio permanent nous confisque notre rendez-vous habituel avec Bernard, la jonction étant, dans ces conditions, inimaginable. Mais pendant ce temps là, Bernard explore la région qu'il a trouvé bizarrement vide et désertés.

    L'ensemble de la région reflète une économie en difficulté dans ses infrastructures par rapport aux régions plus au nord. On notera cependant de magnifiques plantations d'oliviers soulignant que l'atout local est encore fortement agricole.

    Cette journée se termine à notre hôtel où nous devons porter nos vélos pour ne pas en salir le marbre italien.

    11

    Scilla

    Etape de 35 km

    De Gioia en Scilla

    Gérard, oiseau de mauvaise augure, nous annonce une très longue montée par un fort vent contraire : il a eu raison !

    Cependant, l'effet psychologique fut d'adoucir la pilule du fait que chacun savait à quoi s'en tenir.

    Le peloton arrive donc au sommet de la côte après une quinzaine de kilomètres de grimpée ininterrompue durant une heure et demi.

    Nous admirons les prouesses des ingénieurs italiens pour faire passer sur des ouvrage magnifiques, l'autoroute d'une montagne à l'autre.

    Puis, au détour d'un virage lors de notre vertigineuse descente, apparaît le détroit de Messine et la Sicile toute prête à nous accueillir pour le lendemain.

    Le déjeuner est sur la côte à Bagnara. De nouveau, l'accueil pour la confection des paninis (sandwich) est charmant. (Voir la photo).

    La mer turquoise reste notre fidèle compagne.

    Notre lieu pour la nuit est particulier : il n'est pas accessible par l'automobile. Il s'agit d'un tout petit hôtel accroché à la falaise au cœur d'un labyrinthe de ruelles desservant une multitude d'habitations toutes aussi adorables.

    Incidemment, nous nous rappelons que le Scilla dont il est question est celui de l'expression bien connue : "tomber de Charybde en Scylla". Ce rappel nous vient de l'érudit du groupe, Bernard !

    La fibre italienne de Michel vibre de plus en plus fort en lui car nous entrons sur la terre de ses ancêtres. Déjà hier lors de sa courte sieste, il se sentait reposer sur la terre de sa grand mère. Ce soir nous dînon à Reggio à son invitation. Cette ville est celle de ce grand parent. Au contact de son "paese" (pays), une émotion transgénérationnelle est palpable et partagée par nous tous.

    Visite nocturne de cette ville magnifique en déambulant sur le lungo mare (le littoral); nous avons admiré les même arbres aux racines extraordinaires quelques années plus tôt avant sont départ pour l'Amérique.

    Nous dînons au "Cordon bleu" dans une rue piétonnière, restaurant choisi par notre hôte de ce soir, Michel. Nous observons la "passagiata" traditionnelle (promenade), où les hommes se promènes bras dessus bras dessous et les jeunes filles se tiennent par la main. Nous n'avons pas encore complètement intégré cette coutume.

    Ce repas fut l'occasion pour nous d'écouter Bernard sur une partie de ses transhumances américaine, africaines et européennes émaillant son histoire de vie, à la suite de la question de Gérard : "qu'est-ce qui t'a amené au Québec ?"

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    Taormina

    De Scilla en Charybde, 60 km.

    Trois faits marquants :

    Le premier :

    Première journée de pluie continue et abondante qui, selon nous n’est cependant pas parvenue à noyer le feu sacré ni dans notre cœur ni dans le cratère de l’Etna

    Le deuxième :

    L’Etna se cache résolument dans son linceul de nuages épais et bas. Ce sera pour plus tard et le suspenses croît de jour en jour !

    Le troisième :

    La traversée du détroit de Messine : un peu plus de trois kilomètres, vingt minutes de traversée seulement et nous posons le pied en Sicile. Première initiative : l’achat par Gaston d’un cordon d’alimentation perdu la veille indispensable à celui-ci pour le maintien de son contact journalier avec Françoise sa bien aimée.

    Une voiture nous accoste en train de pédaler, nous dépasse, s'arrête et nous fait signe de faire de même : le monsieur s'occupe de cyclotourisme et de beaucoup d'autres choses qu'il souhaite nous vendre ! Michel est à nouveau de service pour la langue et la relation afin de sortir de cette situation la tête haute pour tout le monde !

    Fonçant à travers la pluie drue, voici apparaître la silhouette de Bernard venu à notre rencontre. Et nous repartons de concert encore à une vingtaine de kilomètres de notre point d’arrivée.

    Au cours de ce voyage, Bernard pédale ardemment et passe devant une voiture arrêtée à un stop d’une rue adjacente. Mais voici que cette automobile conduite par une élégante dame, descend doucement pour finir par barrer la route de Bernard qui résolument poursuit son avancée sous nos avertissements soutenus à l’attention de la conductrice. Celle-ci tourne enfin la tête du bon côté, prend conscience des conséquences de sont inattention et s’excuse platement et silencieusement derrière son pare-brise. Elle finit par arrêter sa jolie voiture sauvant ainsi les pédales de Bernard qui continue dans un flegme parfait, digne de celui d’un anglais.

    Celui-ci dont le vent gonfle le poncho, ressemble de derrière à un panini (sorte de sandwich), qui ferait du vélo.

    A l’arrivée, nous sommes heureux de nous mettre au sec, trempés jusqu’aux os.

    Pas de garage sécurisé pour nos bicyclettes mais voici que les voisins en possèdent un qu’ils nous laissent utiliser grâce à une négociation à la sicilienne lancée par Michel..

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    Zafferana Etnea

    Dernière étape de 40 km jusqu'à l'Etna. Remise des vélos.

    Après la pluie, l'Etna

    Beau temps, beau temps ! Il faut le dire deux fois. Plus de nuage gênant.

    Nous voici arrivés à la dernière étape, objet final de ce grand voyage !

    La côte longée est magnifique. Puis au détour d'un virage, voici l'Etna qui nous domine de toute sa hauteur (3340m) et de ses 120 km de diamètre.

    Nous entrons dans les terres pour nous élever vers le feu. C'est un cycliste américain qui nous prend en photos pour la postérité. Il y a d'ailleurs un nombre impressionnant de cyclistes qui entreprenne la montée vers l'Etna.

    Puis nous entrons dans les terres pour commencer une longue ascensions vers le monstre fumant.

    A un point du parcours, Bernard qui nous a précédé en voiture comme d'habitude, est revenu nous attendre pour nous prévenir d'un détail : la route que nous avions prévu de prendre est celle de "l'Etna nord" qui monte jusqu'à 1700 m d'altitude !

    Une seule chose à faire : déjeuner pour réfléchir !

    La décision est prise, le quadricycle se scinde en trois : Bernard fonce vers l'hôtel, Gaston et Michel emprunte une petite route limitant la montée en suivant les courbes de niveau et Gérard se tape la grande montée, décidé à s'approcher un peu plus du volcan et aussi à dépenser un peu d'énergie compte tenu du fait que c'est la dernière étape en vélo.

    Les photos qui suivent sont celles d'un solitaire traversant un champ de lave et de scories à une échelle et en quantité invraisemblable. Mais nous ne sommes pas encore dans la partie vive prévue pour le surlendemain.

    Duo Michel, Gaston : approche en douceur, savourant la montée dans la lenteur en admirant le magnifique littoral contemplé depuis les hauteurs et dégustant des cerises siciliennes cueillies à l'arbre.

    Par ailleurs, trio Gérardo-vélo-photo : 1100 m de montée sur 20 km, savourant l'exercice physique et s'émerveillant des forêts magnifiques, des champs de lave et la proximité de l'Etna crachant sa fumée. Puis 20 km de descente à la vitesse maximum. Le vent est glacial. La neige est présente sous les tapis d'aiguille de pin.

    Les photos mettent en valeur la force du lieu qui est tellement prégnante que Gérard en a oublié l'effort physique, tellement saisi par l'énergie cosmique de destruction au coeur de la fécondité et de vie au cœur du pouvoir de destruction.

    A l'arrivée de la descente à Zafferana Etnea, nous déchantons car il faut remonter 200 m plus haut pour accéder à l'hôtel. Depuis notre terrasse, une vue exceptionnelle sur le littoral sur 180°.

    La pression de la journée qui a frôlé la dépression pour certains (altitude), a retardé l'expression de l'impression de la journée sur le site au lendemain.

    Quant à Gérard, (surnommée "boule de feu" par ceux qui se disent ses amis), la baisse de pression subie ne fut pas synonyme de dépression.

    Le repas, 200 m plus bas, fut l'occasion d'un "échange centrée sur des éléments du parcours de vie de Gérard après que Bernard lui eut demandé d'où il venait. Gérard tâcha d'être à la hauteur du parcours de vie de Bernard évoqué quelques jours plus tôt. A partir de là s'amorça un échange intensif entre les quatre convives sur la question d'identité.

    A la table d'à côté, deux germanophones qui se sont révélés être des Suisses de Bern. Ce sont des amoureux fous de l'Etna et ils s'y rendant tous les ans depuis des années. Ils ont vécu les coulées de lave et ils ont pu lancer leur regard au fin fond du cratère ce qui, maintenant n'est plus possible du fait du regain d'activité.

    Nous mentionnerons encore leur admiration (en retour de la nôtre à leur égard), pour notre prouesse vélocipédique entre le Vésuve et l'Etna à un âge si avancé !

    Nous nous couchons ce soir là, envahis par l'esprit du repos du guerrier, pleinement accomplis dans leur approche itinérante !

    Maintenant commence l'exploration rapprochée de ce haut lieu en lien avec l'histoire de chacun, l'environnement exceptionnel, le mode de la marche. Nous sommes maintenant à pied d’œuvre, sans vélos pour les prochains jours.

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    Maletto via Bronte

    25,26,27 mai : Pentecôte.

    Séjour sur l'Etna et à Maletto, la localité la plus haute (950m) et lieu d'origine de la famille de Michel Maletto.

    Journée de transition : les vélos sont rendus et nous montons au point de départ de l'exploration de l'Etna pour envisager une montée le lendemain.

    Déjà, à cette altitude de près de 2000 m les vues et l'atmosphère sont très impressionnantes. Nous avons contemplé un cratère récent sorti en 2001 mais ce n'est rien comparé à ce qui se passe plus haut.

    Fort de notre prise de repère, nous allons refaire ensemble en voiture, l'itinéraire suivi par Gérard (trio Gerardo-vélo-photo), la veille non sans passer reprendre nos bagages laissés à l'hôtel où Gérard trouve enfin son trône pour asseoir son royal séant.

    Nous continuons notre route vers le dernier hôtel que nous avons réservé pour le périple et nous voyons alors les premiers panneaux indiquant "Maletto" comme en témoigne la photo où Michel nous invite dans "son" village.

    Nous pénétrons dans le village, conscients d'entrer aussi dans la mémoire familiale de Michel. Dans notre balade à pied, Michel entre immédiatement en conversation avec des passants à qui il révèle son nom, le même que celui de leur village. Grand accueil ! Il se trouve qu'une des personnes est un employé de la Municipalité qui téléphone immédiatement à un historien de la région lui demandant d'aider Michel à faire des recherches généalogiques sur son grand père paternel.

    Pendant ce temps, les trois autres compagnons hument l'atmosphère, prennent des photos et très vite prennent conscience d'un marqueur génétique local : la forme du nez aquilin des habitants. Ce n'est pas étonnant car ce village étant le plus haut de l'Etna, ses habitants ont naturellement un nez d'aigle !

    D'ailleurs, comme scout, le totem de Michel était "l'aiglon".

    Puis nous entrons dans l'église où se déroulent les vêpres siciliennes auxquelles nous assistons partiellement. En partant, Michel avise un panneau d'affichage sur lequel est écrit le nom de l'église : Eva Maria, le nom même de sa fille au Québec ! Incroyable !

    Soudain apparaît un vieil homme au visage digne...à dos d'âne ! Il vaque à ses affaires. Gaston lui dit bonjour et au revoir. C'est la riche teneur de leur conversation.

    Le repas du soir fut l'occasion à point nommé d'entendre Michel nous parler de son cheminement de vie mettant bien en valeur son expérience essentielle à savoir que dans tout itinéraire de vie, nous sommes la somme de nos relations.

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    Ascension de l'Etna

    De la faim de l'Etna à l'Etna enfin : l'ascension de "l'Etna d'Empédocle [...]" : "un sommet de l'homme, le sommet d'un monde" (Bachelard 1988, Fragment d'une Poétique du feu, p.140).

    Après une fois de plus, un copieux petit déjeuner qui nous prépare au défi du jour : l'ascension finale de l'Etna à partir des informations rassemblées la veille.

    D'abord rejoindre le "refugio Sapienza" par une nouvelle route qui fit apparaître une divergence entre la carte lue par l'homme et la conduite d'une voix féminine depuis le satellite.

    Ascension de 1100 m selon les ressources de chacun : téléphérique puis jeep et enfin marche, ou montée pédestre d'un bout à l'autre.

    Ces différents choix ont permis de personnaliser le rapport de chacun à l'Etna. Michel rencontra l'Etna en solitaire. Gaston et Bernard échangèrent sur l'interprétation du geste d'Empédocle laissant ses sandales au bord du cratère avant de s'y jeter. Gaston pensait qu'il s'agissait simplement pour Empédocle de laisser une trace. Bernard suggérait qu'il y avait un lien symbolique entre la plante du pied posée sur la terre et une force supérieure, une spiritualité. Il ajoute que l'homme est le seul mammifère qui porte des chaussures et qu'il les enlève pour marquer son respect d'un lieu, en général sacré.

    Si donc Empédocle s'est déchaussé, c'est qu'il considérait le feu comme un élément sacré auquel il se donne.

    Gérard, choisissant la voie la plus facile, fit tout à pied ce qui le conduit à rencontrer vers le sommet, le brouillard, l'orage, la foudre, la neige drue et un sol sulfureux trop chaud pour y laisser les pieds très longtemps.

    C'est l'expérience d'un corps à corps avec les quatre éléments en interaction violente : l'air tumultueux, l'eau aux cristaux cinglants, la terre qui se dérobe et le feu entre magma et la foudre.

    Les nuées montant, tout repérage à plus de trois mètres était devenu impossible. Petite inquiétude tout de même mais détermination de vivre l'expérience pleinement. L'anxiété en fait partie.

    Quelle ne fut pas la surprise de Bernard et Gaston de voir lors de descente, nos quatre prénoms gravés dans la neige dure, prouvant que Gérard était passé par là, n'oubliait pas l'équipe et restait présent à une autre personne qui lui est chère, Véronique.

    Fin de l'étape : Gérard rejoint les trois compères assoupis dans la voiture.

    Nous redescendons par une nouvelle route enchanteresse. Nous sommes très impressionnés par l'étendue invraisemblable de la lave qui nous accompagne jusqu'au plus bas de la vallée. Nul village n'est hors de portée.

    Michel à le mot de la fin en déclarant que la route du feu entre le Vésuve et l'Etna est maintenant accomplie.

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    Maletto, Journée synthèse

    Voici venue la journée finale avant le départ de tout le monde demain matin tôt : Gérard à Paris depuis l'aéroport de Catane, Bernard, Michel et Gaston en voiture pour Rome puis Dijon, Paris et Tours sur trois jours de conduite.

    Ce matin, messe de Pentecôte aux côtés des Siciliens endimanchés, chanteurs, présents en familles entières aux enfants joyeux et solennels.

    De retour à l'hôtel pour le déjeuner, grand surprise, c'est le banquet de la Pentecôte avec un repas aussi copieux que de grand finesse culinaire. C'est notre point d'orgue au-delà de ce que nous aurions pu imaginer.

    Après une sieste rendue nécessaire, nous faisons une sorte de première synthèse à chaud.

    Beauté sublime, variée, musculeuse, substance relationnelle, réminiscences ancestrales, côtoiement des forces de la nature, immensités des paysages, filiation culturelle de la Méditerranée et un petit groupe dont l'évolution va contradictoirement vers l'intégration des individualités (équipe performante !)et vers l'affirmation de ces individualités.

    Michel :

    Je suis parti avec trois mots : curiosité, craintes et dépassement de soi. Je les ai vécus tout au long. La curiosité : ouverture positive ; curieux de ma capacité physique de le faire, curieux du territoire. J'ai découvert une côté italienne que je ne connaissais pas. La simplicité des calabrais. Curiosité de notre discipline. Dans ce sens là, ma curiosité était là tout le temps. Je suis satisfait de ce que j'ai trouvé.

    Ma première appréhension : les camions sur la route. Puis une deuxième, mon genou. Une troisième crainte : la dynamique dans notre groupe. J'ai vu rapidement nos différence. Mais plus on avançait sur la route, les craintes disparaissaient. Mais pourquoi avais-je ces craintes là ? C'est en fait personnel. C'est mes 70 ans. Également, ma crainte concernant mes racines. On les cherche mais on a peur quand on les trouve. Se découvrir soi-même. Une autre crainte : le dépassement de soi. J'ai utilisé une expérience déjà connue (marathon), la gestion de mon énergie : si je suis en survie, je ne suis pas capable de dépassement. Quand la nuit est courte ou la faim se fait sentir. Gérer nos différences aussi, les impondérables du voyage, de nos besoins qui peuvent être différents;

    Pour revenir au genou, Gérard m'a appris une méthode pour pédaler "en danseuse" et cela m'a permis d'épargner mon genou. A partir de là, j'ai fait l'apprentissage du moment le plus efficace pour monter en danseuse ou bien rester assis sur la selle. Quand demander à mes deux jambes de faire un effort alors que j'étais parti avec une seule jambe ? Cela parce qu'il y a un dépassement de soi lié à un apport externe.

    Alors quand je repense à ce voyage, je suis extrêmement satisfait et cela s'inscrit dans ma transition des 70 ans. Il y a d'autres expériences à faire que j'intégrerai aux côtés de celle-ci. Mais ce que je dis là concerne mon expérience personnelle de vie. Une autre appréhension : nos discussions "intellectuelles" dont l'approche m'est inhabituelle ; il fallait que je comprenne les mots, la logique et ça s'est mis en place.

    Ce sont donc les trois mots au départ du voyage et je repars "complet" parce que j'ai fait partie d'une équipe qui a atteint son objectif.

    Bernard :

    D'abord la découverte de cette côté italienne extraordinaire . Cela a commencé à Rapallo : dépaysement, harmonie, beauté. Cela m'est entré dans le corps quand Michel m'a fait visiter la côte de Malfitaine. Plein de contrastes aussi car l'environnement de Salernes était très brouillon, sale, sans esthétique. Alors beauté mais aussi contraste. Tout cela n'a fait que se confirmer en cours de chemin : des paysages absolument splendides avec toutes les nuances de verts, une abondance de fleurs, des bougainvilliers. Et puis bien sûr, aux deux extrémités, des choses tellement spécifiques : le Vésuve dans toute son austérité. C'est un paysage brut, sans diversité, sans surprise. a l'autre bout, l'Etna qui est un paysage tellement étonnant aussi mais grandiose, diversifié, plein d'ondoiement, de parties cachées, de centaines de mini cratères qui ont laissé leur trace. Et puis ces champs de laves tout à fait surprenant pour qui n'en a jamais vus. Tout cela pour le côté paysage.

    Après cela, c'est la découverte de choses plus philosophique, littéraires, sociale au gré des villages rencontrés tel Vatolla : Gaston nous a fait rencontrer un philosophe de la complexité (Vico). Et puis tous ces lieux mythique comme Reggio de Calabre. J'avais cela en tête comme un bout de l'Europe et puis le détroit de Messine et la Sicile elle-même. Ça c'est l'aspect qui est plus que visuel.

    Ensuite, je dirais que ce qui m'a fait le plus d'interrogation dès le départ, c'est le fait de vivre une expérience à quatre hommes "à peu près" du même âge : c'était une inconnue. Comment cela allait-il se passer d'autant plus que je ne connaissais pratiquement que Gaston. Donc quatre personnes unies par le fait de connaître Gaston avec sa proposition de route du feu. D'autres personnes ne sont finalement pas venues mais le fait d'être quatre n'a pas été anodin dans la qualité des rapports aussi bien que dans le bon déroulement du projet. (par exemple seulement quatre places dans la voiture). Ce que je retiens de cela...C'est que ce n'est pas une expérience à minima car c'est passer beaucoup de temps ensemble, vivre beaucoup d'événements en commun et encore plus pour les trois autres qui ne conduisaient pas la voiture. Beaucoup d'inconnues. Il n'y a pas eu d'incident ou accident majeurs externes ou internes comme une difficulté à s'entendre. Ce que je retiens surtout ça a été cette espère ce capacité de construire au jour le jour entre quatre inconnus, un projet commun et aussi passer une énorme partie du temps dans de vrais échanges et non pas dans de vaines discussions ou de faux dialogues. Écoute de la part de tout le monde et la volonté d'aller vers un plus dans les échanges. C'est la partie la plus importante pour moi. Cela m'a d'autant plus surpris que j'ai souvent du mal à communiquer. J'ai pu le faire mieux que jamais. Tout cela dans la découverte des autres à part Gaston. Découverte d'une amitié. Également un regret bien sûr, c'est de ne pas avoir pu accompagner les trois autres dans le pédalage d'un sommet à un autre tout en ayant conscience que je n'aurai peut-être pas pu le faire si facilement physiquement et à cause de petits problèmes de dos. Ça c'est un regret. D'un autre côté, c'est aussi un contentement de faire partie de l'équipe tout en apportant quelque chose de spécifique dans lequel je me sentais bien. Vous m'avez renvoyé le fait que ce que je faisais était utile au bon déroulement du projet. C'est ce que je ressens pour l'instant.

    Gaston :

    Je reviens sur cette réalisation de la route du feu sur trois niveaux.

    Premier niveau : un circuit cyclo-touristique.

    Deuxième : circuit écoformateur.

    Troisième : le feu avec ses dimensions cosmiques.

    Le premier niveau : dans le cadre d'un circuit méditerranéen, il me semble que ce que nous avons fait est de l'or pour un organisateur touristique éco-culturel comme Paolo qui pourrait l'inscrire comme "Route du feu Vésuve-Etna" dans le réseau italien des routes du soleil.

    Deuxième : au-delà, cette notion de route du feu reliant deux volcans et la dimension éco-formatirce que cela peut représenter. Comment cela peut représenter un bain dans les différents éléments matériels : découverte progressive des différentes formes du feux, soleil, feux rouge de la circulation, derrière nos vélos, la foudre...les bonnes douches (élément eau), l'importance des vents, les souterrains. Il y a donc une expérience multiple des différents éléments constitutifs d'un monde que l'expérience que nous avons faite peut mettre en forme mais pas n'importe comment. Ma grosse découverte à ce sujet est celles des conditions optimales à réunir : l'importance du nombre de personnes. Il ne faut pas être trop nombreux. Il y a beaucoup de choses à gérer. L'importance d'une différentiation dans le groupe et l'organisation de ces différences : l'un retient les hôtels, l'autre assure les liaisons etc. l'importance donc de la préparation mais aussi du trajet, le lien par la voiture d'accompagnement qui non seulement nous décharge des bagages mais assure la reconnaissance, et qui est toujours là en terme sécuritaire s'il y a un problème majeur sans parler des trois derniers jours, une fois les vélos rendus, pour pouvoir explorer la région et monter à l'Etna.

    L'autre élément qui m'est apparu est l'importance de la réflexion commune après le pédalage. Pas seulement pédaler avec des pieds mais aussi "avec sa tête", collectivement après l'action. Là, l'importance de la compétence de Gérard en termes informatiques et synthétiques. Importance du temps d'impression et de réflexion : laisser des traces mais chaque jour, même si cela prend plus de temps que l'on pensait y compris sur le repos. Même si Bernard n'a pas toujours pédalé avec nous, le fait de participer à la réflexion apportait un complément important.

    Ajoutons à cela le fait d'accéder au pays par un réseau relationnel personnel: Gaston par le vélo et son ami de longue date, Paolo et Michel par sa connaissance de la culture et de la langue.

    Troisième éléments : le feu et ses dimensions cosmiques. Il s'agit de l'exploration des dimensions culturelles et cosmiques du feu. Ces relations cosmiques au feu traversent les cultures depuis l'apparition de l'humanité jusqu'à maintenant. Ces relations sont particulièrement concentrées dans cette route du feu qui relie les deux volcans.

    Empédocle nous a accompagné depuis Ascera jusqu'à l'Etna.

    Le fait que l'ascension vers l'Etna se termine le jour de la Pentecôte n'est sans doute pas le fruit du hasard !

    Gérard :

    Incontestablement, ce voyage rassemble beaucoup de caractères uniques pour la mise en valeur desquels j'aurai besoin d'un peu de temps. Il faudra les laisser remonter pour pouvoir les qualifier tant certains laissent une impression indicible. Dans un deuxième temps ma "rencontre" solitaire avec l'Etna dans des conditions climatiques et physiques rudes nécessitera pour moi-même une narration encore à venir. Mais dans un premier temps me vient une réflexion sur notre groupe.

    Mes compagnons ont mis en valeur l'enjeu réussi d'un groupe dans sa conversion en équipe ("performante" selon le mot d'humour mais aussi l'expérience professionnelle de Michel).

    En ce qui concerna notre équipe, il m'est apparu, chez chacun de nous, des inclinations naturelles se faisant jour d'une manière étonnamment complémentaire dans les différentes situations émergeant au cours du voyage. Je les présente comme une prépondérance car chacun est aussi détenteur des autres caractéristiques. Elles ont fait la fécondité de ce voyage au maillage complexe. Ainsi je me risque à l'observation suivante :

    Bernard régule.

    Michel négocie.

    Gaston symbolise.

    Gérard explicite.

    Bernard régule en mettant en jeu la pondération. Il sécurise.

    Michel négocie en mettant en jeu l'adéquation. Il interprète.

    Gaston symbolise en mettant en jeu la signification. Il fédère.

    Gérard explicite en mettant en jeu la médiatisation. il publie.

    Je note qu'au cours de notre évocation mutuelle d'histoire de vie,

    Bernard a suivi une voie chronologique, le cours du fleuve.

    Michel, une voie méthodologique, les lois du terroir.

    Gaston, une voie événementielle, les occurrences d'intensité.

    Gérard une voie identitaire, la dynamique du vide.

    Fleuve, terroir, intensité, vide nous rapportent dans un sens général aux quatre éléments de l'eau, de la terre, du feu et de l'air.

    Quand Bernard régule, c'est une mesure de fluidité et c'est l'eau qui est en jeu.

    Quand Michel négocie, c'est une mesure de territorialité et c'est la terre qui est en jeu.

    Quand Gaston symbolise, c'est une mesure d'illumination et c'est le feu qui est en jeu.

    Quand Gérard explicite, c'est une mesure de transmission et c'est l'air qui est en jeu.

    Je m'explique :

    Régulation, négociation, symbolisation et explicitation sont quatre composantes majeures, coextensives l'une de l'autre, de notre viabilisation d'une société ou d'un groupe.

    Nous maîtrisons l'amplitude, définissons le contrat, suscitons un sens commun, élaborons une transmission.

    A nouveau :

    Maîtriser l'amplitude est affaire de débit et de pression, propriétés de l'eau.

    Définir le contrat engage une compatibilité entre des sols, propriété de la terre.

    Susciter un sens émane de l'intangibilité de la lumière, propriété du feu.

    Élaborer une transmission vise à une propagation, propriété de l'air.

    La viabilité de notre groupe, certes naissante et bien sûr inachevée, d'abord inconsciente puis repérée, est d'avoir commué les quatre éléments de l'eau, de la terre, du feu et de l'air en matière, matière de notre raison, de notre relation, de notre interrogation et de notre expression.

    En l'occurrence ici, c'est Vulcain, le dieu du feu qui fut notre grand forgeron.

    LA ROUTE DU FEU
    Réflexions mûries quelques mois après le périple.

    Mon ami Gaston Pineau caresse depuis longtemps le projet d’une excursion à bicyclette en Italie, de Naples à Taormina, en Sicile. Plus précisément, il souhaite parcourir la route qui sépare deux célèbres volcans : le Vésuve et l’Etna. La route du feu! L’objectif n’est pas seulement de réussir à pédaler sept cents kilomètres en onze jours, mais surtout de mener une réflexion sur cet élément de la vie qu’est le feu. Il s’est déjà livré à un exercice similaire avec les trois autres éléments : l’air, l’eau, la terre et il en a fait trois livres. En mai 2012, Gaston réalise son projet, accompagné de trois collègues et amis, motivés à vivre cette aventure avec lui. Il s’agit de Bernard, médecin, de Gérard, entrepreneur spécialisé en restauration de bâtiments historiques et de moi-même.

    Nous convenons de réfléchir individuellement durant le jour et de partager nos cogitations ensemble, en fin de journée. D’autre part, mes compagnons suggèrent que notre groupe s’inspire du modèle des équipes de haute performance afin d’optimaliser l’expérience.

    Dans ce contexte, notre modèle des ÉHP se décline ainsi : LA VISION initiale est celle de Gaston, car c’est son projet. Il réussit ensuite à nous mobiliser pour le concrétiser; l’OBJECTIF devient donc COMMUN.

    LE RÔLE ET LES RESPONSABILITÉS de chacun sont clairement définis. Gaston précise le trajet, avec l’aide d’un collègue napolitain, Bruno. Je fais les réservations des hôtels où nous séjournerons à chaque escale. Bernard loue une voiture d’accompagnement et s’occupe du transport des bagages, qui sont plutôt légers : un sac à dos et une petite valise pour chacun. Gérard monte et met en ligne un blogue, que nous alimenterons chaque soir pour permettre à nos proches, familles et amis, de suivre l’expérience. Gaston y puisera certainement quelques textes pour son prochain livre sur le feu.

    LES COMPÉTENCES sont COMPLÉMENTAIRES.
    Gaston nous intègre dans sa réflexion en nous demandant de communiquer nos expériences quotidiennes dans le court texte que nous publions chaque soir dans le blogue. Gérard fait la synthèse de nos réflexions et rédige; il sélectionne des photos qu’il a prises durant la journée et met le tout en ligne, en temps réel. Comme je maîtrise la langue italienne, je prends contact avec les gens du pays et fais le lien entre mes collègues et les résidants des patelins où nous faisons halte. Bernard scrute le trajet de chaque étape en choisissant les meilleures routes à prendre, car notre circuit se déroule en grande partie en terrain montagneux.

    LA DÉMARCHE est COMMUNE. Les membres du groupe sont très disciplinés. À huit heures, petit-déjeuner. Vers neuf heures, départ. Bernard transporte les bagages en voiture jusqu’à notre prochain hôtel. Il nous rejoint à vélo à l’heure du lunch, à mi-chemin, et parcourt le restant de la route avec nous. Il agit ainsi en éclaireur, rôle qui s’avère précieux à plusieurs reprises. À chaque escale, nous disposons d’une demi-heure pour nous installer à notre chambre et prendre une douche. Nous nous retrouvons autour de la première bière de la soirée… qui est vraiment très bonne. Nous échangeons nos réflexions sur le thème du jour jusqu’à les diffuser dans notre blogue. Nous dégustons un succulent repas, ponctué de blagues, ce qui facilite la détente. Puis, nous nous retirons dans nos quartiers où chacun vaque à ses occupations : appeler sa conjointe, clavarder avec ses proches, etc.

    Et nous repartons de plus belle. Nous nous relayons régulièrement à la position de chef de file, particulièrement lors de vents contraires, ce qui permet de bien gérer l’énergie de chacun et celle du groupe. Nous mettons au point une stratégie spécifique aux traverses de tunnels pour les franchir de manière hautement sécuritaire. Nous échangeons fréquemment sur nos façons de faire et ajustons notre approche. Nous parvenons ainsi à nous donner une démarche commune.

    L’ENGAGEMENT est MUTUEL. Nous nous sommes tous engagés à soutenir Gaston dans son projet, au point d’en faire le nôtre. Chaque membre, dans l’exercice de son rôle et par l’utilisation de ses compétences, contribue quotidiennement à l’atteinte de l’objectif du projet : mener une réflexion sur le feu, du Vésuve à l’Etna.

    Les commentaires des personnes rencontrées tout au long de la route sont pour nous une belle source de motivation. Voir notre quatuor de septuagénaires s’adonner à un tel périple les impressionne et ils nous encouragent dans la poursuite de notre randonnée. Nous disions plus haut que chaque équipe ne vit pas seule et qu’elle s’insère dans une organisation. Ici, elle se lie à une petite communauté, chaque jour, de l’hôtelier jusqu’au réparateur de vélo.

    En cours de route, mes collègues me posent la question suivante : « Sommes-nous une équipe de haute performance? » Je réponds que nous sommes en voie de le devenir, mais qu’il nous faudrait beaucoup plus de temps pour le confirmer. Malgré la maturité et la bonne foi de chacun, nous devons régulièrement faire le point et nous parler. Je constate que, quelle que soit la capacité de chacun à vivre en groupe, le partage de nos attentes interpersonnelles s’avère nécessaire pour maintenir un bon climat au sein de l’équipe. Il s’agit de ne rien laisser altérer notre plaisir d’être ensemble. Nos nombreux échanges sur notre expérience mènent à la constatation suivante : l’humour est un facteur primordial dans une situation de dépassement de soi. Rire des travers des uns et des autres, mais toujours dans le respect de chacun, cimente les relations entre les membres. Non, pour être honnête, nous n’avons pas eu le temps de devenir une véritable ÉHP. Mais cette route du feu, si loin du milieu de travail, m’est apparue comme un laboratoire humain extraordinaire qui alimente encore ma réflexion. Quand je relis ces quelques mots parus dans notre blogue, je ne peux m’empêcher de faire certains liens avec la vitalité d’une équipe...

    Le volcan conjugue toutes les forces élémentaires, celle du feu, mais aussi celles de la terre, de l’air et de l’eau : il condense tous les devenirs.


    Michel Maletto, CRHA


    Extrait de : Les équipes de haute performance – comment consolider son équipe de travail, Éditions Maletto, 2012, 158 pages.

    Extrait d'ntervention publique de Gaston Pineau

    La route du feu : Vésuve-Etna sur les traces de Bachelard et d’Empédocle.
    Communication de Gaston Pineau au 19ème Symposium du Réseau Québécois Pour la pratique des Histoires de Vie (RQPHV), Jouvence, Québec, le 27-28-29 sept. 2012

    Ce projet de Route du feu, Vésuve-Etna sur les traces de Bachelard et d’Empédocle, est né en février 2008 à Salernes, entre Gaston Pineau et Paolo Longo, directeur-fondateur de l’Association Salernoise de cyclotourisme écoculturel. Il ne s’est réalisé qu’en mai 2012, du 11 au 30, avec quatre personnes, Gérard Gigand, Bernard Heneman, Michel Maletto et Gaston Pineau. Le nom de famille de Michel vient de la plus haute localité habitée du massif de l’Etna, Maletto, d’où provient son grand-père. Ce retour aux origines de l’un d’entre nous, a, pour tous, personnalisé et enrichi ce haut lieu d’une boucle régénérative chaleureuse avec un « happy end » très éclairant et inspirant. Cette route du Vésuve à l’Etna, de 700km, s’est déroulée en une douzaine d’étapes, avec trois jours à l’Etna. Un blog la détaille : http://iti.geonef.fr/iti/xT4K6Jqk6yGohAw
    Deux raisons principales l’ont motivée :
    - L’importance physique et symbolique du volcan comme force du feu : « Le volcan conjugue toutes les forces élémentaires, celles du feu, mais aussi celles de la terre, de l’air et de l’eau : il condense tous les devenirs… le feu du volcan s’avère alternativement (ou simultanément) formateur et destructeur de formes, de matières et de mondes » (Fabre M. 2003, )
    - L’importance de l’Etna. Outre qu’il est un des principaux volcans actifs d’Europe, c’est dans l’Etna que ce serait jeté le philosophe pré-socratique, Empédocle, présenté comme le premier théoricien d’une cosmogonie avec les quatre éléments. Dans La psychanalyse du feu (1èreéd. 1938), Gaston Bachelard présente le complexe d’Empédocle comme « le complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et de mourir » (p.35). Et son livre posthume Fragments d’une Poétique du Feu (1988) se termine par Empédocle. Commencer par où il a lui-même commencé et terminé, nous a semblé un départ prometteur pour ouvrir formellement le travail avec le feu tout en le reliant – en quadricycle - à la dynamique d’ensemble du quaterne des quatre éléments. Surtout que le voyage symbolique de Bachelard avec Empédocle pour approcher le feu est un voyage inachevé, laissé en chantier par sa mort. Comment le nôtre peut-il le prolonger?

    1- Reprendre le projet de feu vécu de Bachelard.

    Sa fille Suzanne intitule l’avant-propos aux Fragments d’une Poétique du feu qu’elle a rassemblés : Un livre vécu. Et Le Feu vécu était le premier titre qu’il voulait donner au dernier livre entrevu, pour le différencier des précédents sur les autres éléments, construits surtout à partir des œuvres poétiques. Plus que le feu rêvé ou imaginé, « Le feu vécu pourra désigner bien des durées vécues, suivre la vie qui coule, qui ondule, la vie aussi qui surgit. Bien rarement la vie temporelle du feu connaît la tranquillité de l’horizontal. Le feu en sa vie propre, est toujours un surgissement. C’est quand il retombe que le feu devient l’horizontale chaleur. » (1988, p.8). Il reprenait alors plus ou moins consciemment, la dynamique bio-cognitive de son histoire de vie qui avait fait surgir vingt cinq ans avant, en 1937, son livre inaugural sur les éléments : la psychanalyse du feu. Les deux premiers chapitres - Feu et respect. Le complexe de Prométhée; et Feu et rêverie, le complexe d’Empédocle – surgissent de deux expériences vécues de son histoire de feux.

    La première avec son père. « Quand j’étais malade, mon père faisait du feu dans ma chambre. Il apportait un très grand soin…Manquer un feu eût été une insigne sottise. Je n’imaginais pas que mon père pût avoir d’égal dans cette fonction qu’il ne déléguait jamais à personne. En fait je ne crois pas avoir allumé un feu avant l’âge de dix-huit ans. C’est seulement quand je vécus dans la solitude que je fus le maître de ma cheminée. Mais l’art de tisonner que j’avais appris de mon père, m’est resté comme une vanité. J’aimerais mieux, je crois, manquer une leçon de philosophie, que manquer mon feu du matin. » (p.21) Et il en tire la leçon que « le feu est initialement l’objet d’une interdiction générale…L’interdiction sociale est notre première connaissance générale sur le feu. Ce qu’on connaît d’abord du feu, c’est qu’on ne doit pas le toucher…Le problème de la connaissance personnelle du feu est le problème de la désobéissance adroite. .. L’enfant veut faire comme son père, loin de son père, et de même qu’un petit Prométhée, il dérobe les allumettes. Il court alors les champs… »(p.25). Connaître le feu sans se brûler, ni se faire prendre. « Nous proposons de ranger sous le nom de complexe de Prométhée, toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres » (p.26)

    La seconde avec sa grand-mère. « Aux dents de la crémaillère pendait le chaudron noir… Soufflant à grosses joues dans le tuyau d’acier, ma grand-mère rallumait les flammes endormies. Tout cuisait à la fois : les pommes de terre pour les cochons, les pommes de terre plus fines pour la famille. Pour moi un œuf frais cuisait sous la cendre…Avant l’œuf, j’étais condamné à la panade. Un jour, enfant coléreux et pressé, je jetai à pleine louchée ma soupe aux dents de la crémaillère : »Mange cramaille, mange cramaille. »Mais les jours de ma gentillesse, on apportait le gaufrier…Et déjà la gaufre était dans mon tablier, plus chaude aux doigts qu’aux lèvres. Alors oui, je mangeais du feu, je mangeais son or, son odeur et jusqu’à son pétillement tandis que la gaufre brûlante craquait sous mes dents. Et c’est toujours ainsi, par une sorte de plaisir de luxe, comme dessert, que le feu prouve son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore la galette. Il matérialise la fête des hommes… » (p.34) Et il en dégage l’axe philosophique d’un prompt devenir transformateur, illuminant en brûlant les limites, sublimant. « Le feu suggère le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà. Alors la rêverie est vraiment prenante et dramatique; elle amplifie le destin humain; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie d’un monde. L’être fasciné entend l’appel du bûcher. Pour lui, la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement. Cette rêverie très spéciale et pourtant très générale détermine un véritable complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et l’instinct de mourir. Pour être rapide, on pourrait l’appeler le complexe d’Empédocle » (p35)

    « Cependant mon père abandonna par la suite le titre « Le feu vécu » pour le titre « La poétique du feu » mais sans abandonner son projet initial. Il m’a fait part, à maintes reprises de ses hésitations…Il craignait que le lecteur reconnût dans le titre le feu vécu une séduction nouvelle de l’existentialisme auquel il restait étranger » (1988, p9)

    Nous ne pouvons avoir les mêmes craintes. L’existentialisme, comme science de la production de l’homme concret avec ses différents courants, a donné au vécu et au biographique une place théorique centrale. Il a contribué à l’émergence et au développement des histoires de vie en formation, comme art formateur de l’existence (Pineau, Marie-Michèle, 2012,p.156-178). Et le passage du paradigme des modèles appliqués à celui des acteurs réflexifs pour traiter des complexités existentielles souvent inédites, renforce le recours à l’explicitation des expériences vécues pour tenter de construire du sens avec elles. D’où la pertinence à notre avis de reprendre, entre autre avec les acquis bachelardiens, ce projet inachevé d’exploration des feux vécus au cours de la vie, pour construire une écoformation contribuant à travailler les problèmes écologiques actuels. Et un voyage lent sur les terres de naissance et de mort d’Empédocle d’Agrigente au gré des vents, des eaux et des feux de cette Italie du Sud anciennement appelée Grande Grèce , nous a paru une base expérientielle de reprise et de lancement particulièrement pertinente pour s’initier aux feux vécus.

    2- Concrétiser la voie d’Empédocle.

    Empédocle (494-444?) est un philosophe du Vème siècle avant Jésus Christ. Il peut être rattaché à l’École Éléatique, du nom de Élée, ville de Campanie, où nous sommes passés le troisième jour du voyage. Ce qui a mieux permis de conscientiser les paysages qui l’ont marqué, puisqu’il est né à Agrigente plus au sud et serait mort en se jetant dans l’Etna après 444. Outre ce fait marquant plus ou moins légendaire, il est reconnu comme le premier théoricien d’une cosmogonie avec les quatre éléments « ou plutôt racines des choses : le feu, l’air, l’eau et la terre ; ils sont au monde comme les couleurs dont se sert le peintre, ou comme l’eau et la farine avec laquelle on fait la pâte; tout vient de leur réunion, de leur séparation, de leurs divers dosages… Tout changement a lieu soit par combinaison, soit par dissociation des éléments » (Bréhier,1963,p.70). Pour expliquer ces changements, Empédocle fait appel à deux puissances, l’amour ou l’amitié et la haine, agissant selon une dialectique alternante complexe. Nous ne nous lancerons pas dans sa présentation érudite, pour rester centré sur l’expérience des 4 éléments et de l’Etna que nous a fait vivre le voyage.

    Le volcan cache bien son feu. Il en joue de manière si originale qu’il en déjoue la plupart du temps les humains. A notre départ du haut du Vésuve, un immense cratère sans feu avec quelques fumerolles et une polémique entre les vulcanologues sur la meilleure méthode de prévision des éruptions. Et ce choix semble encore plus difficile pour le Vésuve, qui de type explosif, serait encore plus imprévisible que les autres. Sa dernière explosion en 1944 a fait jaillir, comme la première historique qui a détruit Pompéi en 79 , une nuée ardente avec au moins autant de cendres, de pierres que de feu, ce qui est encore plus sournois. L’Etna est plus actif et tout aussi imprévisible. Autour des trois cratères centraux, surgissent régulièrement des irruptions et coulées de lave. Elles sont cependant détectables, paraît-il, deux ou trois jours avant. Les dernières en dates étaient du mois d’avril. Mais nous n’avons pas eu l’honneur d’être salué par un de ses beaux feux, qui ne sont pas commandés artificiellement. Nous n’avons pu voir que deux énormes foyers volcaniques culminant à plus de 1000 mètres pour le Vésuve, et de 3000 mètres pour l’Etna, avec des fumerolles. Mais pas de flammes.

    Alors la route du feu, fumeuse? Ou le feu est-il plus complexe que ses flammes et ses rougeoiements, qui plus visibles, ne se produisent ni ne se laissent approcher spontanément impunément. C’est à cette complexité multiforme du feu relié aux autres éléments et aux enjeux cosmiques posés par sa connaissance, qu’a éveillé cette route du feu entre deux volcans, aux prises avec le soleil, les vents, la pluie, la mer, les montées et les descentes, les tunnels… les feux rouges, les camions et les gens.

    Les quatre éléments comme compagnons de voyage.

    Au lundi 14 mai, jour de départ du haut des 1000 mètres du Vésuve, mon journal de voyage note : « Sentiment de venir saluer la genèse du monde de la vie terrestre. Sentiment partagé par mes 3 co-équipiers, impressionnés par la grandeur des lieux et le regard d’en haut qu’ils permettent sur la baie de Naples ».Il s’en est fallu cependant de peu que ce départ ne puisse nous hausser à ce point de vue cosmique, seulement d’une heureuse combinaison in extremis des éléments! Pluie tout le début de la matinée et recherche laborieuse de la voie d’accès terrestre avec deux autos nous véhiculant avec nos vélos. Vers 11 heures, le ciel s’est dégagé, libérant le soleil. Ce feu solaire (Hill et Carlowicz, 2006), plus souvent visible lui que le feu terrestre, a éclairé et rendu accessible le foyer de son fragment enterré Ainsi grâce à cette heureuse combinaison météorologique, a pu s’amorcer la première étape de notre route initiatique : rupture de la situation antérieure par découverte d’en haut d’un haut lieu volcanique, avec entrée sur la route transitionnelle par une descente assez vertigineuse, pavée de voitures, de bus, de camions et de larges plaques de basaltes en milieux urbains. De joie maligne, mes compagnons humains m’ont obligé à embrasser les pavés de basalte, durs représentants du refroidissement des laves magmatiques sur la terre mère, au contact de l’eau ou de l’air.

    La suite a ainsi dépendu de ces combinaisons élémentaires, météorologiques, mais aussi géographiques, mécaniques, physiologiques…éco-transactions basiques de mise en forme et en sens entre organismes et environnements. Éco-transactions énergétiques, massives et massantes, stimulantes ou épuisantes. Habituellement elles sont de type réflexe. La conduite incessante des déplacements sur la route oblige à les réfléchir, à les prévoir " Tous ces objets résistants portent la marque des ambivalences de l'aide et de l'obstacle. Ils sont des êtres à maîtriser. Ils nous donnent l'être de notre maîtrise, l'être de notre énergie" dit un Gaston Bachelard (1948, p.19) qui a peut-être fait plus de marche que de vélo. Mais combien est précieuse sa psychanalyse qu'il appelle matérielle ou naturelle, pour décoder un peu la complexité des éveils sensibles apportés par les corps à corps quotidiens avec ces compagnons élémentaires. Ecologiquement, les éléments matériels perdent de leur extériorité. Ils s'incorporent en imprimant une relation écoformatrice subtile. Comme le dit plus récemment Michel Serres (1997), venir au monde implique d'expérimenter corporellement les chose et les lieux. D'où l'intérêt des voyages à déplacement lent, à raz de terre, pas à pas , ou coup de pédale par coup de pédale. Ils font apprendre la matérialité du monde. Ce dernier devient un livre dont chaque pas, chaque coup de pédale ouvre une page.
    Réfléchir la formation apportée par le vélo n’hérite pas d’une pratique culturelle aussi ample et ancienne que la marche. En plus il faut intégrer une machine entre soi et l’environnement. La vélo-formation ou même la « vélosophie » est encore à venir. Le vélo fournit une riche matière première. Il crée un nouvel espace de glisse entre ciel et terre à habiter, équilibrer et orienter dans un déséquilibre permanent : « Le sentiment de fragilité qui habite le cycliste aiguise son attention au monde… Cet espace privilégié et paradoxal de détente dans la tension environnante produit un type de réflexion particulier souvent proche de la fulgurance. L’esprit est propulsé vers l’avant, percuté par une multitude d’idées météoriques, comme on traverse un nuage de moucherons…De bête machine un brun désuète, le vélo devient outil libérateur de la pensée. »(Tronchet, 2000, p.30).
    Il ouvre entre autres aux paysages, fenêtres cosmiques à apprendre à voir, décoder, à penser. Pas si facile, étant donnée leur prégnante concrétude. « N’y a-t-il pas quelque antinomie entre paysage et pensée? Le paysage, en principe, est là dehors, devant moi et autour de moi, et la pensée là-dedans, quelque part derrière mon front. Entre les deux, il ya comme une frontière. Difficile de dire où elle se situe au juste…Pourtant , il ne fait pas de doute non plus que le paysage appelle à penser d’une certaine manière, et même que certaines idées nous viennent justement du paysage »( Berque, 2008,p.6).
    Deux opérations principales construisent, selon Anne Cauquelin, la transformation symbolique d’un pays en paysage : « Le cadrage, par quoi nous soustrayons au regard une partie de la vision; et le jeu de transport avec les quatre éléments dont se constitue pour nous la nature » (Cauquelin, 2000,p.120). Ces deux opérations d’ailleurs semblent bien se lier par un couplage soudain et surconscient entre les trois pôles auto-, socio-, et écoformateurs, co-créant une unité formelle se détachant de fonds micro et macrocosmiques. Entre le dôme majestueux du Vésuve se détachant d’un ciel dégagé, celui, inespéré, du Stromboli à mi-route et celui de l’Etna qui a su se faire attendre jusque dans les derniers kilomètres, les jeux de palettes toujours mouvantes et changeantes d’une côte exceptionnelle entre mer, terre, air et soleil, nous ont fait expérimenter l’environnement qui a fait surgir d’Empédocle sa théorie cosmogonique. En respirant, transpirant, se baignant, montant, descendant, visionnant, buvant, mangeant, réfléchissant, parlant…et écrivant. Chaque soir, le quadricycle se réunissait pour exprimer et imprimer sur le blog collectif de voyage, les impressions majeures de la journée. Opérations de dialogues et de réflexions qui a fait expérimenter aussi, après les 4 éléments d’Empédocle, les deux forces contraires qui selon lui, les unissent ou les divisent en une cosmogénèse ou un éclatement de monde: l’amitié ou l’hostilité.
    Cette expérimentation de la nécessité d’une force amicale pour mettre en forme la multiplicité des impressions environnementales de la journée, a fait prendre conscience que l’écoformation, la mise en forme d’une unité, la genèse d’un monde vécu, avec et par le compagnonnage avec les 4 éléments, ne dépend pas seulement de ces éléments. Mais aussi de la dynamique des personnes qui les vivent : dynamique amicale ou inamicale entre elles et avec les éléments. En ressortant pour chacun la prépondérance symbolique d’un élément, Gérard a brossé une analyse élémentale de ce complexe fonctionnement de groupe, réussissant à transformer les tensions en dynamique formatrice.
    « En ce qui concerna notre équipe, il m'est apparu, chez chacun de nous, des inclinations naturelles se faisant jour d'une manière étonnamment complémentaire dans les différentes situations émergeant au cours du voyage. Je les présente comme une prépondérance car chacun est aussi détenteur des autres caractéristiques. Elles ont fait la fécondité de ce voyage au maillage complexe. Ainsi je me risque à l'observation suivante : Bernard régule, Michel négocie, Gaston symbolise, Gérard explicite.

    Bernard régule en mettant en jeu la pondération. Il sécurise. Michel négocie en mettant en jeu l'adéquation. Il interprète. Gaston symbolise en mettant en jeu la signification. Il fédère. Gérard explicite en mettant en jeu la médiatisation. Il publie.

    Je note qu'au cours de notre évocation mutuelle d'histoire de vie, Bernard a suivi une voie chronologique, le cours du fleuve. Michel, une voie méthodologique, les lois du terroir. Gaston, une voie événementielle, les occurrences d'intensité. Gérard une voie identitaire, la dynamique du vide.
    Fleuve, terroir, intensité, vide nous rapportent dans un sens général aux quatre éléments de l'eau, de la terre, du feu et de l'air.
    Quand Bernard régule, c'est une mesure de fluidité et c'est l'eau qui est en jeu.
    Quand Michel négocie, c'est une mesure de territorialité et c'est la terre qui est en jeu.
    Quand Gaston symbolise, c'est une mesure d'illumination et c'est le feu qui est en jeu.
    Quand Gérard explicite, c'est une mesure de transmission et c'est l'air qui est en jeu.

    Je m'explique: régulation, négociation, symbolisation et explicitation sont quatre composantes majeures, coextensives l'une de l'autre, de notre viabilisation d'une société ou d'un groupe.
    Nous maîtrisons l'amplitude, définissons le contrat, suscitons un sens commun, élaborons une transmission.
    A nouveau : Maîtriser l'amplitude est affaire de débit et de pression, propriétés de l'eau. Définir le contrat engage une compatibilité entre des sols, propriété de la terre. Susciter un sens émane de l'intangibilité de la lumière, propriété du feu. Élaborer une transmission vise à une propagation, propriété de l'air.

    La viabilité de notre groupe, certes naissante et bien sûr inachevée, d'abord inconsciente puis repérée, est d'avoir commué les quatre éléments de l'eau, de la terre, du feu et de l'air en matière, matière de notre raison, de notre relation, de notre interrogation et de notre expression » (Gérard Gigand, Route du feu, blog, 2012).

    Empédocle dans l’Etna : un cosmodrame.
    Le samedi 26 mai, jour de l’ascension ultime de L’Etna, ressort de mon journal, la phrase suivante, tiré du dernier chapitre de Fragments d’une poétique du feu, , Empédocle, : « L’Etna d’Empédocle est vraiment un sommet de l’homme et le sommet d’un monde »(1988,p.138). Après la journée précédente de reconnaissance, l’ascension des 2000 derniers mètres suivant la fin de la route d’accès, s’est faite selon les forces et désir de chacun : à pied, en téléphérique et tout-terrain. Météorologie variable avec éclaircie, brouillard, et même un peu de neige contrastant avec la chaleur du sol, près de certains cratères. Presque au sommet, un petit écriteau émerge à peine des laves desséchées. Il signale la Tour du philosophe, ensevelie lors d’une éruption en 2002. Belle fin après le saut de celui-ci dans le cratère. Qu’en comprendre? S’aider d’un premier de cordée, comme Bachelard, pour tenter de s’approcher de ces sommets est un réflexe méthodologique élémentaire.
    Bachelard à ma connaissance n’a pas gravi physiquement L’Etna. Mais pendant plus de 25 ans il a été fasciné par la mort du philosophe, rejoignant la fascination humaine primitive devant le feu et la travaillant obstinément jusqu’à s’en brûler: « Seuls ces êtres livrés aux instinct d’une formation intellectuelle peuvent forcer la porte du four et entrer dans le mystère du feu. » (Giono, cité par Bachelard, 1937, P37). Il l’a méditée à partir de grands auteurs s’en inspirant – Georges Sand, D’Annunzio, Giono, Hölderlin, Arnold, Nietzsche. Pour lui « la mort d’Empédocle n’est pas simplement un fait divers de l’histoire de la philosophie…c’est une des plus grandes images de la poétique de l’anéantissement. Dans L’acte empédocléen l’homme est aussi grand que le feu. L’homme est le grand acteur d’un cosmodrame vrai …Quelque espoir de Phénix n’est-il pas au cœur du philosophe?... Empédocle, héros de la mort libre dans le feu…L’Acte d’Empédocle est un Instant sur un Sommet »(1988, p.137-139)… Pour lui, c’est un événement cosmique de fusion de l’humain dans un super-élément incandescent, avec l’obscure pulsion d’une fin/commencement, d’une nouvelle création. C’est un drame cosmique jouant les pulsions auto-écoformatrices de mort/vie, de disparition/apparition., de purification/renaissance. Le feu entraîne Empédocle par-delà son monument quadrangulaire vers une quintessence éthérée inconnue. Le feu est un foyer concentré d’attraction/répulsion cosmique, transhumaine, ambivalente « Le feu est bon et cruel. C’est vraiment un dieu»( !988,p165 )
    En redescendant avec Bernard, je lui demande pourquoi à son avis, Empédocle a laissé sa sandale sur le bord du cratère. « Parce que dans certaines cultures, on se déchausse quand on entre dans un espace intime, sacré » Répond-il. « Pour qu’on la prenne et s’en serve » m’a répondu un de mes fils. Qu’on s’en serve pour créer un monde qui crée en s’unissant à un « ça crée ».
    Conclusion : Le « ça crée » cosmique du complexe d’Empédocle
    Avec cet éclatement de l’hermétique substantif sacré pour en faire jaillir la dynamique cosmique créative souvent confisquée et éteinte – ça crée -, j’ai senti que le terme de la deuxième phase transitionnelle de notre route initiatique était atteint. Et bien atteint. Sur un sommet, même et surtout avec un « ça » créateur élémentaire, pronom démonstratif impersonnel, chosifiant, transpersonnel. « Il est difficile de parler du ça », constatait Georg Groddeck, le premier à s’y attaquer frontalement au début des années 20 dans son Livre du Ça (Groddeck,1963, p.64). « Pour le Ça, il n’existe pas de notion délimitée en soi; il travaille avec des ordres de notions, avec des complexes qui se produisent par la voie de l’obsession de symbolisation et d’association (p.64)…Représentez-vous mes propos sur le ça divisé en degrés, un peu comme le globe terrestre »(p.73). C’est à cette force environnante, terrestre mais aussi extraterrestre, transpersonnelle et transociale, que notre « ça » qui crée veut renvoyer. Il est bien sûr plus proche du Ça groddeckien que du ça freudien. « Dans votre Ça, je ne reconnais naturellement pas mon ça civilisé, bourgeois, dépossédé de la mystique. Cependant, vous le savez, le mien se déduit du vôtre. » (lettre de Freud à Groddeck, citée dans Groddeck, p.vi). Le Ça de Groddeck est moins domestiqué dans une topique individuelle, moins socialisé. Il travaille comme le globe terrestre, à différents degrés, avec des complexes qui se produisent par la voie de l’obsession de symbolisation et d’association.
    Cette initiation au ça crée volcanique et cosmique du complexe d’Empédocle ne peut se terminer avec cette route du feu, Vésuve-Etna. Elle ouvre au contraire une voie inédite de symbolisation et d’association des multiples feux vécus, par une chaude, généreuse et éclairante écoformation avec ces foyers ambivalents, pour transformer les obsessions incendiaires planétaires en mondes viables et durables.
    Le « ça crée » cosmique du dieu-feu empédocléen est dramatique et tragique, même dans sa version romantisée euphémisante. Il consume encore bien des humains se jetant à corps perdu dans le feu de l’action ou des passions. Sans compter les versions enflammées, désespérées, illuminées ou militantes, d’immolation par le feu, seul ou avec d’autres. C’est déjà un progrès de ne pas y entrainer les autres, de ne pas les sacrifier à cet élément métamorphosant. Ce super-élément reste dépendant de haines mortifères. Elles peuvent en faire un moyen majeur d’enfer. L’histoire des feux vécus est plurielle au cours des âges. Peut-être s’humanise-t-elle ou inversement se diabolise-t-elle, aux prises avec ces forces adverses amour/haine, utilisant son pouvoir ambivalent de changements rapides, par formation/transformation/déformation, entre mort et vie ((Debray, 2003)
    Le lendemain 27 mai, dans le calendrier chrétien, c’était dimanche, et dimanche de la Pentecôte. Nous nous sommes rendus à Maletto, avec Michel, retrouver sa terre d’origine par ce voyage à forte teneur initiatrice et bioformative, transpersonnelle et transgénérationnelle. Avec lui, nous avons partagé la joie des habitants fêtant l’avènement d’un autre feu à vivre…plus discret, plus secret, plus reliant, plus libre, créant autrement. À suivre.

    Références
    Bachelard Gaston, 1988, Fragments d’une Poétique du feu, Paris, Puf
    Bachelard Gaston, 1949( 1ère éd.1938), La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard
    Bachelard Gaston, 1948, La terre et les rêveries de la volonté, Paris, José Corti
    Berque Augustin, 2008, La pensée paysagère, Paris, Archibooks
    Bréhier Émile, 1963, Histoire de la philosophie, Paris, PUF
    Cauquelin Anne, 2000, L’invention du paysage, Paris, PUF
    Debray Régis, 2003, Le Feu sacré. Fonctions du religieux, Paris, Gallimard
    Fabre Michel, 2003, Le problème et l’épreuve. Formation et modernité chez Jules Vernes, Paris, L’Harmattan

    Groddeck Georg, 1963(1ère éd.1923), Le livre du Ça, Paris, Gallimard

    Hill Steele et Carlowicz Michael, 2006, Soleil. Cet inconnu si familier, Paris, Éd. de la Martinière

    Pineau Gaston, Marie-Michèle, 2012 (1ère éd. 1983), Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Paris, Téraèdre
    Route du feu, Vésuve –Etna, 2012, http://iti.geonef.fr/iti/xT4K6Jqk6yGohAwblog
    Serres Michel, 1997, Nouvelles du monde, Paris, Flammarion
    Tronchet Didier, 2000, Petit Traité de vélosophie. Le monde vu de ma selle, Paris, Plon

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    Réflexions après coup

    LA ROUTE DU FEU
    Réflexions mûries quelques mois après le périple.


    Extrait d'ntervention publique de Gaston Pineau

    La route du feu : Vésuve-Etna sur les traces de Bachelard et d’Empédocle.
    Communication de Gaston Pineau au 19ème Symposium du Réseau Québécois Pour la pratique des Histoires de Vie (RQPHV), Jouvence, Québec, le 27-28-29 sept. 2012

    Ce projet de Route du feu, Vésuve-Etna sur les traces de Bachelard et d’Empédocle, est né en février 2008 à Salernes, entre Gaston Pineau et Paolo Longo, directeur-fondateur de l’Association Salernoise de cyclotourisme écoculturel. Il ne s’est réalisé qu’en mai 2012, du 11 au 30, avec quatre personnes, Gérard Gigand, Bernard Heneman, Michel Maletto et Gaston Pineau. Le nom de famille de Michel vient de la plus haute localité habitée du massif de l’Etna, Maletto, d’où provient son grand-père. Ce retour aux origines de l’un d’entre nous, a, pour tous, personnalisé et enrichi ce haut lieu d’une boucle régénérative chaleureuse avec un « happy end » très éclairant et inspirant. Cette route du Vésuve à l’Etna, de 700km, s’est déroulée en une douzaine d’étapes, avec trois jours à l’Etna. Un blog la détaille : http://iti.geonef.fr/iti/xT4K6Jqk6yGohAw
    Deux raisons principales l’ont motivée :
    - L’importance physique et symbolique du volcan comme force du feu : « Le volcan conjugue toutes les forces élémentaires, celles du feu, mais aussi celles de la terre, de l’air et de l’eau : il condense tous les devenirs… le feu du volcan s’avère alternativement (ou simultanément) formateur et destructeur de formes, de matières et de mondes » (Fabre M. 2003, )
    - L’importance de l’Etna. Outre qu’il est un des principaux volcans actifs d’Europe, c’est dans l’Etna que ce serait jeté le philosophe pré-socratique, Empédocle, présenté comme le premier théoricien d’une cosmogonie avec les quatre éléments. Dans La psychanalyse du feu (1èreéd. 1938), Gaston Bachelard présente le complexe d’Empédocle comme « le complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et de mourir » (p.35). Et son livre posthume Fragments d’une Poétique du Feu (1988) se termine par Empédocle. Commencer par où il a lui-même commencé et terminé, nous a semblé un départ prometteur pour ouvrir formellement le travail avec le feu tout en le reliant – en quadricycle - à la dynamique d’ensemble du quaterne des quatre éléments. Surtout que le voyage symbolique de Bachelard avec Empédocle pour approcher le feu est un voyage inachevé, laissé en chantier par sa mort. Comment le nôtre peut-il le prolonger?

    1- Reprendre le projet de feu vécu de Bachelard.

    Sa fille Suzanne intitule l’avant-propos aux Fragments d’une Poétique du feu qu’elle a rassemblés : Un livre vécu. Et Le Feu vécu était le premier titre qu’il voulait donner au dernier livre entrevu, pour le différencier des précédents sur les autres éléments, construits surtout à partir des œuvres poétiques. Plus que le feu rêvé ou imaginé, « Le feu vécu pourra désigner bien des durées vécues, suivre la vie qui coule, qui ondule, la vie aussi qui surgit. Bien rarement la vie temporelle du feu connaît la tranquillité de l’horizontal. Le feu en sa vie propre, est toujours un surgissement. C’est quand il retombe que le feu devient l’horizontale chaleur. » (1988, p.8). Il reprenait alors plus ou moins consciemment, la dynamique bio-cognitive de son histoire de vie qui avait fait surgir vingt cinq ans avant, en 1937, son livre inaugural sur les éléments : la psychanalyse du feu. Les deux premiers chapitres - Feu et respect. Le complexe de Prométhée; et Feu et rêverie, le complexe d’Empédocle – surgissent de deux expériences vécues de son histoire de feux.

    La première avec son père. « Quand j’étais malade, mon père faisait du feu dans ma chambre. Il apportait un très grand soin…Manquer un feu eût été une insigne sottise. Je n’imaginais pas que mon père pût avoir d’égal dans cette fonction qu’il ne déléguait jamais à personne. En fait je ne crois pas avoir allumé un feu avant l’âge de dix-huit ans. C’est seulement quand je vécus dans la solitude que je fus le maître de ma cheminée. Mais l’art de tisonner que j’avais appris de mon père, m’est resté comme une vanité. J’aimerais mieux, je crois, manquer une leçon de philosophie, que manquer mon feu du matin. » (p.21) Et il en tire la leçon que « le feu est initialement l’objet d’une interdiction générale…L’interdiction sociale est notre première connaissance générale sur le feu. Ce qu’on connaît d’abord du feu, c’est qu’on ne doit pas le toucher…Le problème de la connaissance personnelle du feu est le problème de la désobéissance adroite. .. L’enfant veut faire comme son père, loin de son père, et de même qu’un petit Prométhée, il dérobe les allumettes. Il court alors les champs… »(p.25). Connaître le feu sans se brûler, ni se faire prendre. « Nous proposons de ranger sous le nom de complexe de Prométhée, toutes les tendances qui nous poussent à savoir autant que nos pères, plus que nos pères, autant que nos maîtres, plus que nos maîtres » (p.26)

    La seconde avec sa grand-mère. « Aux dents de la crémaillère pendait le chaudron noir… Soufflant à grosses joues dans le tuyau d’acier, ma grand-mère rallumait les flammes endormies. Tout cuisait à la fois : les pommes de terre pour les cochons, les pommes de terre plus fines pour la famille. Pour moi un œuf frais cuisait sous la cendre…Avant l’œuf, j’étais condamné à la panade. Un jour, enfant coléreux et pressé, je jetai à pleine louchée ma soupe aux dents de la crémaillère : »Mange cramaille, mange cramaille. »Mais les jours de ma gentillesse, on apportait le gaufrier…Et déjà la gaufre était dans mon tablier, plus chaude aux doigts qu’aux lèvres. Alors oui, je mangeais du feu, je mangeais son or, son odeur et jusqu’à son pétillement tandis que la gaufre brûlante craquait sous mes dents. Et c’est toujours ainsi, par une sorte de plaisir de luxe, comme dessert, que le feu prouve son humanité. Il ne se borne pas à cuire, il croustille. Il dore la galette. Il matérialise la fête des hommes… » (p.34) Et il en dégage l’axe philosophique d’un prompt devenir transformateur, illuminant en brûlant les limites, sublimant. « Le feu suggère le désir de changer, de brusquer le temps, de porter toute la vie à son terme, à son au-delà. Alors la rêverie est vraiment prenante et dramatique; elle amplifie le destin humain; elle relie le petit au grand, le foyer au volcan, la vie d’une bûche et la vie d’un monde. L’être fasciné entend l’appel du bûcher. Pour lui, la destruction est plus qu’un changement, c’est un renouvellement. Cette rêverie très spéciale et pourtant très générale détermine un véritable complexe où s’unissent l’amour et le respect du feu, l’instinct de vivre et l’instinct de mourir. Pour être rapide, on pourrait l’appeler le complexe d’Empédocle » (p35)

    « Cependant mon père abandonna par la suite le titre « Le feu vécu » pour le titre « La poétique du feu » mais sans abandonner son projet initial. Il m’a fait part, à maintes reprises de ses hésitations…Il craignait que le lecteur reconnût dans le titre le feu vécu une séduction nouvelle de l’existentialisme auquel il restait étranger » (1988, p9)

    Nous ne pouvons avoir les mêmes craintes. L’existentialisme, comme science de la production de l’homme concret avec ses différents courants, a donné au vécu et au biographique une place théorique centrale. Il a contribué à l’émergence et au développement des histoires de vie en formation, comme art formateur de l’existence (Pineau, Marie-Michèle, 2012,p.156-178). Et le passage du paradigme des modèles appliqués à celui des acteurs réflexifs pour traiter des complexités existentielles souvent inédites, renforce le recours à l’explicitation des expériences vécues pour tenter de construire du sens avec elles. D’où la pertinence à notre avis de reprendre, entre autre avec les acquis bachelardiens, ce projet inachevé d’exploration des feux vécus au cours de la vie, pour construire une écoformation contribuant à travailler les problèmes écologiques actuels. Et un voyage lent sur les terres de naissance et de mort d’Empédocle d’Agrigente au gré des vents, des eaux et des feux de cette Italie du Sud anciennement appelée Grande Grèce , nous a paru une base expérientielle de reprise et de lancement particulièrement pertinente pour s’initier aux feux vécus.

    2- Concrétiser la voie d’Empédocle.

    Empédocle (494-444?) est un philosophe du Vème siècle avant Jésus Christ. Il peut être rattaché à l’École Éléatique, du nom de Élée, ville de Campanie, où nous sommes passés le troisième jour du voyage. Ce qui a mieux permis de conscientiser les paysages qui l’ont marqué, puisqu’il est né à Agrigente plus au sud et serait mort en se jetant dans l’Etna après 444. Outre ce fait marquant plus ou moins légendaire, il est reconnu comme le premier théoricien d’une cosmogonie avec les quatre éléments « ou plutôt racines des choses : le feu, l’air, l’eau et la terre ; ils sont au monde comme les couleurs dont se sert le peintre, ou comme l’eau et la farine avec laquelle on fait la pâte; tout vient de leur réunion, de leur séparation, de leurs divers dosages… Tout changement a lieu soit par combinaison, soit par dissociation des éléments » (Bréhier,1963,p.70). Pour expliquer ces changements, Empédocle fait appel à deux puissances, l’amour ou l’amitié et la haine, agissant selon une dialectique alternante complexe. Nous ne nous lancerons pas dans sa présentation érudite, pour rester centré sur l’expérience des 4 éléments et de l’Etna que nous a fait vivre le voyage.

    Le volcan cache bien son feu. Il en joue de manière si originale qu’il en déjoue la plupart du temps les humains. A notre départ du haut du Vésuve, un immense cratère sans feu avec quelques fumerolles et une polémique entre les vulcanologues sur la meilleure méthode de prévision des éruptions. Et ce choix semble encore plus difficile pour le Vésuve, qui de type explosif, serait encore plus imprévisible que les autres. Sa dernière explosion en 1944 a fait jaillir, comme la première historique qui a détruit Pompéi en 79 , une nuée ardente avec au moins autant de cendres, de pierres que de feu, ce qui est encore plus sournois. L’Etna est plus actif et tout aussi imprévisible. Autour des trois cratères centraux, surgissent régulièrement des irruptions et coulées de lave. Elles sont cependant détectables, paraît-il, deux ou trois jours avant. Les dernières en dates étaient du mois d’avril. Mais nous n’avons pas eu l’honneur d’être salué par un de ses beaux feux, qui ne sont pas commandés artificiellement. Nous n’avons pu voir que deux énormes foyers volcaniques culminant à plus de 1000 mètres pour le Vésuve, et de 3000 mètres pour l’Etna, avec des fumerolles. Mais pas de flammes.

    Alors la route du feu, fumeuse? Ou le feu est-il plus complexe que ses flammes et ses rougeoiements, qui plus visibles, ne se produisent ni ne se laissent approcher spontanément impunément. C’est à cette complexité multiforme du feu relié aux autres éléments et aux enjeux cosmiques posés par sa connaissance, qu’a éveillé cette route du feu entre deux volcans, aux prises avec le soleil, les vents, la pluie, la mer, les montées et les descentes, les tunnels… les feux rouges, les camions et les gens.

    Les quatre éléments comme compagnons de voyage.

    Au lundi 14 mai, jour de départ du haut des 1000 mètres du Vésuve, mon journal de voyage note : « Sentiment de venir saluer la genèse du monde de la vie terrestre. Sentiment partagé par mes 3 co-équipiers, impressionnés par la grandeur des lieux et le regard d’en haut qu’ils permettent sur la baie de Naples ».Il s’en est fallu cependant de peu que ce départ ne puisse nous hausser à ce point de vue cosmique, seulement d’une heureuse combinaison in extremis des éléments! Pluie tout le début de la matinée et recherche laborieuse de la voie d’accès terrestre avec deux autos nous véhiculant avec nos vélos. Vers 11 heures, le ciel s’est dégagé, libérant le soleil. Ce feu solaire (Hill et Carlowicz, 2006), plus souvent visible lui que le feu terrestre, a éclairé et rendu accessible le foyer de son fragment enterré Ainsi grâce à cette heureuse combinaison météorologique, a pu s’amorcer la première étape de notre route initiatique : rupture de la situation antérieure par découverte d’en haut d’un haut lieu volcanique, avec entrée sur la route transitionnelle par une descente assez vertigineuse, pavée de voitures, de bus, de camions et de larges plaques de basaltes en milieux urbains. De joie maligne, mes compagnons humains m’ont obligé à embrasser les pavés de basalte, durs représentants du refroidissement des laves magmatiques sur la terre mère, au contact de l’eau ou de l’air.

    La suite a ainsi dépendu de ces combinaisons élémentaires, météorologiques, mais aussi géographiques, mécaniques, physiologiques…éco-transactions basiques de mise en forme et en sens entre organismes et environnements. Éco-transactions énergétiques, massives et massantes, stimulantes ou épuisantes. Habituellement elles sont de type réflexe. La conduite incessante des déplacements sur la route oblige à les réfléchir, à les prévoir " Tous ces objets résistants portent la marque des ambivalences de l'aide et de l'obstacle. Ils sont des êtres à maîtriser. Ils nous donnent l'être de notre maîtrise, l'être de notre énergie" dit un Gaston Bachelard (1948, p.19) qui a peut-être fait plus de marche que de vélo. Mais combien est précieuse sa psychanalyse qu'il appelle matérielle ou naturelle, pour décoder un peu la complexité des éveils sensibles apportés par les corps à corps quotidiens avec ces compagnons élémentaires. Ecologiquement, les éléments matériels perdent de leur extériorité. Ils s'incorporent en imprimant une relation écoformatrice subtile. Comme le dit plus récemment Michel Serres (1997), venir au monde implique d'expérimenter corporellement les chose et les lieux. D'où l'intérêt des voyages à déplacement lent, à raz de terre, pas à pas , ou coup de pédale par coup de pédale. Ils font apprendre la matérialité du monde. Ce dernier devient un livre dont chaque pas, chaque coup de pédale ouvre une page.
    Réfléchir la formation apportée par le vélo n’hérite pas d’une pratique culturelle aussi ample et ancienne que la marche. En plus il faut intégrer une machine entre soi et l’environnement. La vélo-formation ou même la « vélosophie » est encore à venir. Le vélo fournit une riche matière première. Il crée un nouvel espace de glisse entre ciel et terre à habiter, équilibrer et orienter dans un déséquilibre permanent : « Le sentiment de fragilité qui habite le cycliste aiguise son attention au monde… Cet espace privilégié et paradoxal de détente dans la tension environnante produit un type de réflexion particulier souvent proche de la fulgurance. L’esprit est propulsé vers l’avant, percuté par une multitude d’idées météoriques, comme on traverse un nuage de moucherons…De bête machine un brun désuète, le vélo devient outil libérateur de la pensée. »(Tronchet, 2000, p.30).
    Il ouvre entre autres aux paysages, fenêtres cosmiques à apprendre à voir, décoder, à penser. Pas si facile, étant donnée leur prégnante concrétude. « N’y a-t-il pas quelque antinomie entre paysage et pensée? Le paysage, en principe, est là dehors, devant moi et autour de moi, et la pensée là-dedans, quelque part derrière mon front. Entre les deux, il ya comme une frontière. Difficile de dire où elle se situe au juste…Pourtant , il ne fait pas de doute non plus que le paysage appelle à penser d’une certaine manière, et même que certaines idées nous viennent justement du paysage »( Berque, 2008,p.6).
    Deux opérations principales construisent, selon Anne Cauquelin, la transformation symbolique d’un pays en paysage : « Le cadrage, par quoi nous soustrayons au regard une partie de la vision; et le jeu de transport avec les quatre éléments dont se constitue pour nous la nature » (Cauquelin, 2000,p.120). Ces deux opérations d’ailleurs semblent bien se lier par un couplage soudain et surconscient entre les trois pôles auto-, socio-, et écoformateurs, co-créant une unité formelle se détachant de fonds micro et macrocosmiques. Entre le dôme majestueux du Vésuve se détachant d’un ciel dégagé, celui, inespéré, du Stromboli à mi-route et celui de l’Etna qui a su se faire attendre jusque dans les derniers kilomètres, les jeux de palettes toujours mouvantes et changeantes d’une côte exceptionnelle entre mer, terre, air et soleil, nous ont fait expérimenter l’environnement qui a fait surgir d’Empédocle sa théorie cosmogonique. En respirant, transpirant, se baignant, montant, descendant, visionnant, buvant, mangeant, réfléchissant, parlant…et écrivant. Chaque soir, le quadricycle se réunissait pour exprimer et imprimer sur le blog collectif de voyage, les impressions majeures de la journée. Opérations de dialogues et de réflexions qui a fait expérimenter aussi, après les 4 éléments d’Empédocle, les deux forces contraires qui selon lui, les unissent ou les divisent en une cosmogénèse ou un éclatement de monde: l’amitié ou l’hostilité.
    Cette expérimentation de la nécessité d’une force amicale pour mettre en forme la multiplicité des impressions environnementales de la journée, a fait prendre conscience que l’écoformation, la mise en forme d’une unité, la genèse d’un monde vécu, avec et par le compagnonnage avec les 4 éléments, ne dépend pas seulement de ces éléments. Mais aussi de la dynamique des personnes qui les vivent : dynamique amicale ou inamicale entre elles et avec les éléments. En ressortant pour chacun la prépondérance symbolique d’un élément, Gérard a brossé une analyse élémentale de ce complexe fonctionnement de groupe, réussissant à transformer les tensions en dynamique formatrice.
    « En ce qui concerna notre équipe, il m'est apparu, chez chacun de nous, des inclinations naturelles se faisant jour d'une manière étonnamment complémentaire dans les différentes situations émergeant au cours du voyage. Je les présente comme une prépondérance car chacun est aussi détenteur des autres caractéristiques. Elles ont fait la fécondité de ce voyage au maillage complexe. Ainsi je me risque à l'observation suivante : Bernard régule, Michel négocie, Gaston symbolise, Gérard explicite.

    Bernard régule en mettant en jeu la pondération. Il sécurise. Michel négocie en mettant en jeu l'adéquation. Il interprète. Gaston symbolise en mettant en jeu la signification. Il fédère. Gérard explicite en mettant en jeu la médiatisation. Il publie.

    Je note qu'au cours de notre évocation mutuelle d'histoire de vie, Bernard a suivi une voie chronologique, le cours du fleuve. Michel, une voie méthodologique, les lois du terroir. Gaston, une voie événementielle, les occurrences d'intensité. Gérard une voie identitaire, la dynamique du vide.
    Fleuve, terroir, intensité, vide nous rapportent dans un sens général aux quatre éléments de l'eau, de la terre, du feu et de l'air.
    Quand Bernard régule, c'est une mesure de fluidité et c'est l'eau qui est en jeu.
    Quand Michel négocie, c'est une mesure de territorialité et c'est la terre qui est en jeu.
    Quand Gaston symbolise, c'est une mesure d'illumination et c'est le feu qui est en jeu.
    Quand Gérard explicite, c'est une mesure de transmission et c'est l'air qui est en jeu.

    Je m'explique: régulation, négociation, symbolisation et explicitation sont quatre composantes majeures, coextensives l'une de l'autre, de notre viabilisation d'une société ou d'un groupe.
    Nous maîtrisons l'amplitude, définissons le contrat, suscitons un sens commun, élaborons une transmission.
    A nouveau : Maîtriser l'amplitude est affaire de débit et de pression, propriétés de l'eau. Définir le contrat engage une compatibilité entre des sols, propriété de la terre. Susciter un sens émane de l'intangibilité de la lumière, propriété du feu. Élaborer une transmission vise à une propagation, propriété de l'air.

    La viabilité de notre groupe, certes naissante et bien sûr inachevée, d'abord inconsciente puis repérée, est d'avoir commué les quatre éléments de l'eau, de la terre, du feu et de l'air en matière, matière de notre raison, de notre relation, de notre interrogation et de notre expression » (Gérard Gigand, Route du feu, blog, 2012).

    Empédocle dans l’Etna : un cosmodrame.
    Le samedi 26 mai, jour de l’ascension ultime de L’Etna, ressort de mon journal, la phrase suivante, tiré du dernier chapitre de Fragments d’une poétique du feu, , Empédocle, : « L’Etna d’Empédocle est vraiment un sommet de l’homme et le sommet d’un monde »(1988,p.138). Après la journée précédente de reconnaissance, l’ascension des 2000 derniers mètres suivant la fin de la route d’accès, s’est faite selon les forces et désir de chacun : à pied, en téléphérique et tout-terrain. Météorologie variable avec éclaircie, brouillard, et même un peu de neige contrastant avec la chaleur du sol, près de certains cratères. Presque au sommet, un petit écriteau émerge à peine des laves desséchées. Il signale la Tour du philosophe, ensevelie lors d’une éruption en 2002. Belle fin après le saut de celui-ci dans le cratère. Qu’en comprendre? S’aider d’un premier de cordée, comme Bachelard, pour tenter de s’approcher de ces sommets est un réflexe méthodologique élémentaire.
    Bachelard à ma connaissance n’a pas gravi physiquement L’Etna. Mais pendant plus de 25 ans il a été fasciné par la mort du philosophe, rejoignant la fascination humaine primitive devant le feu et la travaillant obstinément jusqu’à s’en brûler: « Seuls ces êtres livrés aux instinct d’une formation intellectuelle peuvent forcer la porte du four et entrer dans le mystère du feu. » (Giono, cité par Bachelard, 1937, P37). Il l’a méditée à partir de grands auteurs s’en inspirant – Georges Sand, D’Annunzio, Giono, Hölderlin, Arnold, Nietzsche. Pour lui « la mort d’Empédocle n’est pas simplement un fait divers de l’histoire de la philosophie…c’est une des plus grandes images de la poétique de l’anéantissement. Dans L’acte empédocléen l’homme est aussi grand que le feu. L’homme est le grand acteur d’un cosmodrame vrai …Quelque espoir de Phénix n’est-il pas au cœur du philosophe?... Empédocle, héros de la mort libre dans le feu…L’Acte d’Empédocle est un Instant sur un Sommet »(1988, p.137-139)… Pour lui, c’est un événement cosmique de fusion de l’humain dans un super-élément incandescent, avec l’obscure pulsion d’une fin/commencement, d’une nouvelle création. C’est un drame cosmique jouant les pulsions auto-écoformatrices de mort/vie, de disparition/apparition., de purification/renaissance. Le feu entraîne Empédocle par-delà son monument quadrangulaire vers une quintessence éthérée inconnue. Le feu est un foyer concentré d’attraction/répulsion cosmique, transhumaine, ambivalente « Le feu est bon et cruel. C’est vraiment un dieu»( !988,p165 )
    En redescendant avec Bernard, je lui demande pourquoi à son avis, Empédocle a laissé sa sandale sur le bord du cratère. « Parce que dans certaines cultures, on se déchausse quand on entre dans un espace intime, sacré » Répond-il. « Pour qu’on la prenne et s’en serve » m’a répondu un de mes fils. Qu’on s’en serve pour créer un monde qui crée en s’unissant à un « ça crée ».
    Conclusion : Le « ça crée » cosmique du complexe d’Empédocle
    Avec cet éclatement de l’hermétique substantif sacré pour en faire jaillir la dynamique cosmique créative souvent confisquée et éteinte – ça crée -, j’ai senti que le terme de la deuxième phase transitionnelle de notre route initiatique était atteint. Et bien atteint. Sur un sommet, même et surtout avec un « ça » créateur élémentaire, pronom démonstratif impersonnel, chosifiant, transpersonnel. « Il est difficile de parler du ça », constatait Georg Groddeck, le premier à s’y attaquer frontalement au début des années 20 dans son Livre du Ça (Groddeck,1963, p.64). « Pour le Ça, il n’existe pas de notion délimitée en soi; il travaille avec des ordres de notions, avec des complexes qui se produisent par la voie de l’obsession de symbolisation et d’association (p.64)…Représentez-vous mes propos sur le ça divisé en degrés, un peu comme le globe terrestre »(p.73). C’est à cette force environnante, terrestre mais aussi extraterrestre, transpersonnelle et transociale, que notre « ça » qui crée veut renvoyer. Il est bien sûr plus proche du Ça groddeckien que du ça freudien. « Dans votre Ça, je ne reconnais naturellement pas mon ça civilisé, bourgeois, dépossédé de la mystique. Cependant, vous le savez, le mien se déduit du vôtre. » (lettre de Freud à Groddeck, citée dans Groddeck, p.vi). Le Ça de Groddeck est moins domestiqué dans une topique individuelle, moins socialisé. Il travaille comme le globe terrestre, à différents degrés, avec des complexes qui se produisent par la voie de l’obsession de symbolisation et d’association.
    Cette initiation au ça crée volcanique et cosmique du complexe d’Empédocle ne peut se terminer avec cette route du feu, Vésuve-Etna. Elle ouvre au contraire une voie inédite de symbolisation et d’association des multiples feux vécus, par une chaude, généreuse et éclairante écoformation avec ces foyers ambivalents, pour transformer les obsessions incendiaires planétaires en mondes viables et durables.
    Le « ça crée » cosmique du dieu-feu empédocléen est dramatique et tragique, même dans sa version romantisée euphémisante. Il consume encore bien des humains se jetant à corps perdu dans le feu de l’action ou des passions. Sans compter les versions enflammées, désespérées, illuminées ou militantes, d’immolation par le feu, seul ou avec d’autres. C’est déjà un progrès de ne pas y entrainer les autres, de ne pas les sacrifier à cet élément métamorphosant. Ce super-élément reste dépendant de haines mortifères. Elles peuvent en faire un moyen majeur d’enfer. L’histoire des feux vécus est plurielle au cours des âges. Peut-être s’humanise-t-elle ou inversement se diabolise-t-elle, aux prises avec ces forces adverses amour/haine, utilisant son pouvoir ambivalent de changements rapides, par formation/transformation/déformation, entre mort et vie ((Debray, 2003)
    Le lendemain 27 mai, dans le calendrier chrétien, c’était dimanche, et dimanche de la Pentecôte. Nous nous sommes rendus à Maletto, avec Michel, retrouver sa terre d’origine par ce voyage à forte teneur initiatrice et bioformative, transpersonnelle et transgénérationnelle. Avec lui, nous avons partagé la joie des habitants fêtant l’avènement d’un autre feu à vivre…plus discret, plus secret, plus reliant, plus libre, créant autrement. À suivre.

    Références
    Bachelard Gaston, 1988, Fragments d’une Poétique du feu, Paris, Puf
    Bachelard Gaston, 1949( 1ère éd.1938), La psychanalyse du feu, Paris, Gallimard
    Bachelard Gaston, 1948, La terre et les rêveries de la volonté, Paris, José Corti
    Berque Augustin, 2008, La pensée paysagère, Paris, Archibooks
    Bréhier Émile, 1963, Histoire de la philosophie, Paris, PUF
    Cauquelin Anne, 2000, L’invention du paysage, Paris, PUF
    Debray Régis, 2003, Le Feu sacré. Fonctions du religieux, Paris, Gallimard
    Fabre Michel, 2003, Le problème et l’épreuve. Formation et modernité chez Jules Vernes, Paris, L’Harmattan

    Groddeck Georg, 1963(1ère éd.1923), Le livre du Ça, Paris, Gallimard

    Hill Steele et Carlowicz Michael, 2006, Soleil. Cet inconnu si familier, Paris, Éd. de la Martinière

    Pineau Gaston, Marie-Michèle, 2012 (1ère éd. 1983), Produire sa vie : autoformation et autobiographie, Paris, Téraèdre
    Route du feu, Vésuve –Etna, 2012, http://iti.geonef.fr/iti/xT4K6Jqk6yGohAwblog
    Serres Michel, 1997, Nouvelles du monde, Paris, Flammarion
    Tronchet Didier, 2000, Petit Traité de vélosophie. Le monde vu de ma selle, Paris, Plon
    17Réflexions après coup
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    Réflexions de Michel Maletto

    Mon ami Gaston Pineau caresse depuis longtemps le projet d’une excursion à bicyclette en Italie, de Naples à Taormina, en Sicile. Plus précisément, il souhaite parcourir la route qui sépare deux célèbres volcans : le Vésuve et l’Etna. La route du feu! L’objectif n’est pas seulement de réussir à pédaler sept cents kilomètres en onze jours, mais surtout de mener une réflexion sur cet élément de la vie qu’est le feu. Il s’est déjà livré à un exercice similaire avec les trois autres éléments : l’air, l’eau, la terre et il en a fait trois livres. En mai 2012, Gaston réalise son projet, accompagné de trois collègues et amis, motivés à vivre cette aventure avec lui. Il s’agit de Bernard, médecin, de Gérard, entrepreneur spécialisé en restauration de bâtiments historiques et de moi-même.

    Nous convenons de réfléchir individuellement durant le jour et de partager nos cogitations ensemble, en fin de journée. D’autre part, mes compagnons suggèrent que notre groupe s’inspire du modèle des équipes de haute performance afin d’optimaliser l’expérience.

    Dans ce contexte, notre modèle des ÉHP se décline ainsi : LA VISION initiale est celle de Gaston, car c’est son projet. Il réussit ensuite à nous mobiliser pour le concrétiser; l’OBJECTIF devient donc COMMUN.

    LE RÔLE ET LES RESPONSABILITÉS de chacun sont clairement définis. Gaston précise le trajet, avec l’aide d’un collègue napolitain, Bruno. Je fais les réservations des hôtels où nous séjournerons à chaque escale. Bernard loue une voiture d’accompagnement et s’occupe du transport des bagages, qui sont plutôt légers : un sac à dos et une petite valise pour chacun. Gérard monte et met en ligne un blogue, que nous alimenterons chaque soir pour permettre à nos proches, familles et amis, de suivre l’expérience. Gaston y puisera certainement quelques textes pour son prochain livre sur le feu.

    LES COMPÉTENCES sont COMPLÉMENTAIRES.
    Gaston nous intègre dans sa réflexion en nous demandant de communiquer nos expériences quotidiennes dans le court texte que nous publions chaque soir dans le blogue. Gérard fait la synthèse de nos réflexions et rédige; il sélectionne des photos qu’il a prises durant la journée et met le tout en ligne, en temps réel. Comme je maîtrise la langue italienne, je prends contact avec les gens du pays et fais le lien entre mes collègues et les résidants des patelins où nous faisons halte. Bernard scrute le trajet de chaque étape en choisissant les meilleures routes à prendre, car notre circuit se déroule en grande partie en terrain montagneux.

    LA DÉMARCHE est COMMUNE. Les membres du groupe sont très disciplinés. À huit heures, petit-déjeuner. Vers neuf heures, départ. Bernard transporte les bagages en voiture jusqu’à notre prochain hôtel. Il nous rejoint à vélo à l’heure du lunch, à mi-chemin, et parcourt le restant de la route avec nous. Il agit ainsi en éclaireur, rôle qui s’avère précieux à plusieurs reprises. À chaque escale, nous disposons d’une demi-heure pour nous installer à notre chambre et prendre une douche. Nous nous retrouvons autour de la première bière de la soirée… qui est vraiment très bonne. Nous échangeons nos réflexions sur le thème du jour jusqu’à les diffuser dans notre blogue. Nous dégustons un succulent repas, ponctué de blagues, ce qui facilite la détente. Puis, nous nous retirons dans nos quartiers où chacun vaque à ses occupations : appeler sa conjointe, clavarder avec ses proches, etc.

    Et nous repartons de plus belle. Nous nous relayons régulièrement à la position de chef de file, particulièrement lors de vents contraires, ce qui permet de bien gérer l’énergie de chacun et celle du groupe. Nous mettons au point une stratégie spécifique aux traverses de tunnels pour les franchir de manière hautement sécuritaire. Nous échangeons fréquemment sur nos façons de faire et ajustons notre approche. Nous parvenons ainsi à nous donner une démarche commune.

    L’ENGAGEMENT est MUTUEL. Nous nous sommes tous engagés à soutenir Gaston dans son projet, au point d’en faire le nôtre. Chaque membre, dans l’exercice de son rôle et par l’utilisation de ses compétences, contribue quotidiennement à l’atteinte de l’objectif du projet : mener une réflexion sur le feu, du Vésuve à l’Etna.

    Les commentaires des personnes rencontrées tout au long de la route sont pour nous une belle source de motivation. Voir notre quatuor de septuagénaires s’adonner à un tel périple les impressionne et ils nous encouragent dans la poursuite de notre randonnée. Nous disions plus haut que chaque équipe ne vit pas seule et qu’elle s’insère dans une organisation. Ici, elle se lie à une petite communauté, chaque jour, de l’hôtelier jusqu’au réparateur de vélo.

    En cours de route, mes collègues me posent la question suivante : « Sommes-nous une équipe de haute performance? » Je réponds que nous sommes en voie de le devenir, mais qu’il nous faudrait beaucoup plus de temps pour le confirmer. Malgré la maturité et la bonne foi de chacun, nous devons régulièrement faire le point et nous parler. Je constate que, quelle que soit la capacité de chacun à vivre en groupe, le partage de nos attentes interpersonnelles s’avère nécessaire pour maintenir un bon climat au sein de l’équipe. Il s’agit de ne rien laisser altérer notre plaisir d’être ensemble. Nos nombreux échanges sur notre expérience mènent à la constatation suivante : l’humour est un facteur primordial dans une situation de dépassement de soi. Rire des travers des uns et des autres, mais toujours dans le respect de chacun, cimente les relations entre les membres. Non, pour être honnête, nous n’avons pas eu le temps de devenir une véritable ÉHP. Mais cette route du feu, si loin du milieu de travail, m’est apparue comme un laboratoire humain extraordinaire qui alimente encore ma réflexion. Quand je relis ces quelques mots parus dans notre blogue, je ne peux m’empêcher de faire certains liens avec la vitalité d’une équipe...

    Le volcan conjugue toutes les forces élémentaires, celle du feu, mais aussi celles de la terre, de l’air et de l’eau : il condense tous les devenirs.


    Michel Maletto, CRHA


    Extrait de : Les équipes de haute performance – comment consolider son équipe de travail, Éditions Maletto, 2012, 158 pages.

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